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musique. Autant de capitales, autant d’écoles. Il y a la musique viennoise, la musique berlinoise, saxonne, wurtembergeoise, hanovrienne, la musique de Leipzig, de Hambourg, de Munich, de Weimar, de Cologne, de Schaumbourg-Lippe et de Lippe-Detmold. Les opéras ont leurs marchés, leurs bourses, et tel chef-d’œuvre peut immortaliser son homme sur la place de Darmstadt ou de Cologne sans que l’Allemagne ait le moindre vent de cette gloire musicale, qui d’ordinaire a son cours entre les frontières d’un état et ne franchit pas les limites d’un fleuve ou d’une formation géologique. Je parle ici de l’opéra ; mais que serait-ce si j’abordais le chapitre de la musique religieuse ! Pas un organiste, pas un chantre qui ne fasse son petit ménage, et, selon sa propre formule et ses goûts particuliers, ne se compose à son usage un répertoire exceptionnel de messes, de mois de Marie, de motets, de préludes. A force de talent, de patience et d’autorité magistrale, le doctrinaire Mendelssohn était parvenu à changer tout cela : il avait reconstitué une sorte d’art national, et le mot de musique allemande cessa pour un temps d’être, comme le saint-empire germanique, une de ces notions qui n’appartiennent plus guère qu’au domaine de l’histoire. Je dis pour un temps, car cette action ne devait pas se prolonger au-delà de son existence. A la mort de l’auteur d’Antigone, de Fingal, de Paulus et du Songe d’une Nuit d’été, recommença la diffusion des langues ; comme dans le magnifique tableau de Kaulbach, chacun de nouveau tira de son côté. Les groupes se reformèrent, on se reprit à localiser l’intelligence entre deux rivières, à se rembucher derrière sa montagne, à refaire en un mot cette topographie particulariste que Mendelssohn de son vivant avait rayée de la carte de la patrie allemande, et dont le moindre tort est de rendre impossibles tout ensemble de doctrine, toute communauté d’efforts et de tendances.

Puisque nous sommes en Allemagne, restons-y pour nous donner un amusant spectacle. Voilà donc M. Richard Wagner installé à Munich. Après tant de pérégrinations ingrates, de courses et d’erreurs à travers le monde, voilà le trop fameux pèlerin joyeusement établi sous le pavillon du roi de Bavière, dont il s’apprête à former la jeunesse au doux art des belles mélodies.

Venimus ad summum fortunœ, pingimus atque
Psallimus.

Heureuse Bavière, Bavaria felix ! Elle avait la peinture et la statuaire, elle avait Cornélius, Kaulbach et Schwanthaler ; mais Gluck manquait encore à son bonheur : on le lui donne. Respectons les illusions généreuses et ne reprochons jamais à un souverain ses excès de zèle en pareille cause ; mieux vaut encore prendre M. Richard Wagner pour un Gluck et pour un Eschyle que de ne connaître ni Eschyle ni Gluck, ce qui parfois s’est vu même chez de puissans monarques. Du reste, si généreuse et si magna-