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métropole, qu’il est, au point de vue politique, une capitale dans la capitale.

Tandis que la paisible Angleterre va renouveler en se jouant sa représentation parlementaire, les États-Unis sont occupés à guérir les plaies de leur guerre civile. Les états du sud sont franchement ralliés à la situation que le sort des armes leur a faite : l’abolition de l’esclavage, le retour à l’Union, sont pour eux des faits accomplis, auxquels les masses se résignent sans arrière-pensée ; mais restent les deux difficiles problèmes de l’œuvre que les Américains appellent la reconstruction, c’est-à-dire la réorganisation politique et la réorganisation sociale. Cette œuvre sera lente : mais si elle rencontrait trop d’obstacles dans les préjugés ou l’éducation insuffisante des anciennes populations blanche et noire, elle serait accomplie en définitive par des courans féconds d’émigration venus du nord et de l’ouest, l’industrieuse population des états libres ne pouvant pas consentir à laisser stériles les plus riches régions de la république américaine. La politique du parti séparatiste a légué à l’Union un triste héritage, celui de la misère à laquelle elle avait réduit les états du sud. Partout on a trouvé dans le sud le travail désorganisé, les voies de communication presque détruites, les chemins de fer usés, impropres au service, aux mains de compagnies trop pauvres pour les réparer. Le spectacle de cette misère dans laquelle le sud est plongé accuse sévèrement l’obstination des chefs de la révolte : ils ont ajouté à leurs funestes erreurs la faute d’avoir prolongé la lutte au-delà du temps où elle pouvait raisonnablement être soutenue. Après les questions générales viennent les questions personnelles, qui sont peut-être les plus urgentes et les plus délicates. Comment seront traités les chefs de la rébellion ? Sur ce point, nous avons la conviction que les prédictions sinistres que se sont hâtés d’émettre les anciens ennemis de l’Union en France et en Angleterre ne seront pas vérifiées. Aucune cruauté ne ternira le triomphe de l’Union. Ceux qui s’étaient hâtés de donner une interprétation odieuse aux premières paroles du président Johnson, sur les punitions légitimes qu’appelait le crime de trahison, ne se rendaient pas compte des pressions d’opinion qui pesaient sur le premier magistrat de la république dans les débuts de son pouvoir. Les masses dans les temps d’effervescence, comment en France pourrions-nous l’oublier ? sont plus passionnées et plus violentes que les gouvernemens. En arrivant au pouvoir après l’horrible assassinat de M. Lincoln, M. Johnson était assailli de députations envoyées par les états loyaux, et qui ne respiraient que l’indignation et la vengeance. Il fallait bien parler des sévérités de la loi à ce peuple violemment ému et paraître entrer dans sa passion pour la calmer et s’en rendre maître ; mais on voit qu’on ne se hâte point de juger M. Jefferson Davis, qu’on remet son procès au mois de septembre ; on sait que si des agens subalternes ont dressé contre le général Lee un décret d’accusation, leur conduite n’est point approuvée par le gouvernement. En de telles circonstances, ajourner la répression, c’est appeler le temps à son secours pour éteindre les passions, c’est préparer les voies à la clé-