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était établi à Bouillon. Bouillon est, comme Strasbourg, sur le chemin de l’Allemagne. Enfin M. Beaussire va jusqu’à conjecturer que quelque émigré, soit religieux, soit gentilhomme, a bien pu semer avec lui quelques germes d’idéalisme. « Un émigré, nous dit-il, Charles de Villers, nous a rapporté le système de Kant : pourquoi un émigré n’aurait-il pas importé en Allemagne le système de dom Deschamps ? » Quelque ingénieuses que soient ces conjectures, nous n’hésitons pas à les considérer comme entièrement chimériques. La philosophie allemande à ce caractère original et presque unique d’être une déduction logique rigoureuse, où chaque philosophe poursuit et complète le philosophe précédent. Fichte vient de Kant, Schelling de Fichte, Hegel de Schelling : c’est un développement tout organique, comme disent les Allemands, dans lequel il est absolument inutile de faire intervenir des accidens extérieurs. D’ailleurs les fils intermédiaires qu’imagine spirituellement M. Beaussire sont si ténus et si lâches qu’ils né permettent pas de prendre très au sérieux cette piquante et patriotique conjecture. Quoi qu’il en soit, nous ne devons pas en vouloir à l’ingénieux écrivain de l’intérêt un peu excessif que lui inspire son héros, car c’est à cet intérêt même que nous devons ses recherches curieuses et persévérantes.

Dom Deschamps mourut le 19 avril 1774, dans son monastère de Montreuil-Bellay. Un témoin oculaire, un médecin, nous atteste qu’étant en pleine connaissance, il demanda et reçut les sacremens de l’église. Dans quelle disposition d’esprit les a-t-il reçus ? C’est un mystère dont il ne nous est pas permis de lever le voile ; mais quel siècle étrange que celui où un moine athée pouvait aussi paisiblement, aussi publiquement, sans renoncer à aucune des occupations de son état, sans susciter aucun ombrage, se livrer aux spéculations les plus téméraires en religion et les plus subversives en politique, restant avec cela fidèle jusqu’à la dernière heure aux pratiques de son église ! Ce spectacle nous paraît plus instructif et plus piquant que toute la métaphysique de dom Deschamps.


PAUL JANET, de l’Institut.



UNE ÉTUDE SUR L’UNIVERS[1].


Il faut être à la fois un savant et un écrivain pour essayer de faire un tableau de l’univers et de raconter dans un livre toutes les merveilles de la nature depuis l’infiniment grand jusqu’à l’infiniment petit. Indiquer les lois de la marche des astres, esquisser les principales hypothèses qui ont été faites sur la formation des corps célestes, appliquer ces théories à l’histoire de notre système solaire et à celle du globe que nous habitons, faire connaître les travaux des géologues et l’ensemble imposant de connaissances précises que nous donne l’examen de l’écorce terrestre, passer ensuite à l’étude de la vie sur la terre, à la physiologie de l’homme, des animaux, des plantes, descendre enfin dans le monde merveilleux que révèle le microscope, étudier les Infusoires, montrer cette prodigieuse exubérance de vie qui fait pulluler les microzoaires jusqu’à former des montagnes et presque des continens de leurs cadavres amoncelés, embrasser ainsi

  1. L’Univers. — Les infiniment grands et les infiniment petits, par M. F.-A. Pouchet ; librairie de L. Hachette, 1865.