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n’empêchent point que l’enseignement constant de l’église ou des églises soit conforme à l’idée d’un principe intelligent et moral qui subsiste dans l’homme, et qui est lié au corps sans en dépendre absolument. Il est de foi que ce principe, délivré de ce corps de mort, est immédiatement, en quittant la terre, soumis au jugement qui décide de son sort, et l’admet sans intervalle à la béatitude éternelle ou le livre aux épreuves soit expiatoires, soit pénales, décrétées par la divine justice ; mais si l’âme est distincte du corps et lui survit, comment lui a-t-elle été unie ? comment est-elle née ? Cette question, embarrassante pour le théologien comme pour le philosophe, est résolue par le premier à l’aide d’un acte spécial de création. C’est du moins la solution ordinaire ; c’est celle de saint Thomas d’Aquin, c’est celle de M. Henri Martin. Ainsi chaque âme est créée à part à une époque plus ou moins rapprochée de la conception ou de la naissance. N’insistons pas sur la répugnance que l’esprit éprouve à mettre ainsi la puissance créatrice aux ordres de certains phénomènes naturels déterminés par les passions humaines. Bornons-nous à demander comment alors des âmes peuvent sortir des mains du Créateur entachées de la souillure du péché originel. Pour expliquer cette première cause du mal moral, pour en rendre l’homme seul responsable, on soutient dans tous les livres que Dieu, qui ne fait rien que de bien, n’a pu créer l’homme pécheur, et qu’Adam, formé dans l’état d’innocence, a seul, avec Eve et le tentateur, introduit le péché dans le monde. Et voilà que par une contradiction flagrante on veut que l’âme, que toutes les âmes, non pas engendrées, mais créées, le soient par Dieu même en un état de péché tel qu’il suffit pour les priver de la béatitude, s’il n’est miraculeusement remis I Ainsi Dieu produirait à chaque fois et l’âme et le péché, qui ne vient pas de lui !

Quoique l’âme rendue à elle-même par la mort n’ait pas besoin d’organes pour exister et même pour connaître soit les biens, soit les maux de l’autre vie, la religion nous apprend qu’à la fin des temps l’esprit doit renaître sous une forme extérieure, reprendre un corps, reprendre son corps, pour subir le jugement définitif qui prononce de nouveau sur son sort éternel. Tout le monde connaît les difficultés de ce dogme singulier. Je veux bien qu’il ne s’agisse pas de la renaissance du corps identique avec lequel l’âme a vécu, j’admets avec M. Martin qu’il ne soit question que du principe d’identité de la nature organique de l’individu, qui n’est pas le corps matériel ; mais cette opinion, tolérée et non pas acceptée par l’église, donne naissance à des difficultés nouvelles. Ce principe d’identité, c’est l’âme même, s’il faut suivre la définition de l’âme donnée par Aristote et adoptée par des conciles. C’est l’âme