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voit, et elle est tenue de s’arrêter sincèrement devant les obstacles qu’elle ne peut franchir, de suspendre son jugement devant les objections qu’elle ne peut résoudre. Elle n’a pas, comme la foi, le droit d’ériger les problèmes en théorèmes, et de poser au besoin la contradiction en principe. Aussi les incertitudes, s’il s’en élève sur la réalité de l’autre vie, ont-elles en philosophie de plus graves conséquences, et l’on ne s’en débarrasse pas aisément. Il faut toujours citer les paroles de Socrate : « Il semble bien que l’âme est immortelle… C’est une espérance dont il faut comme s’enchanter soi-même. » Cicéron est plus affirmatif dans une des Tusculanes qui se lit encore après le Phédon, qu’elle ne fait guère que répéter ; mais ailleurs il montre moins d’assurance, et il fait dire au vieux Caton : « Je crois les âmes des hommes immortelles ; si c’est une erreur, c’est une erreur que j’aime. » Tacite invoque l’autorité des sages pour espérer que les grandes âmes ne s’éteignent point avec le corps. Enfin M. Cousin, résumant tout ce que l’esprit humain a trouvé de mieux, a dit avec une sincérité courageuse : « La philosophie démontre qu’il y a dans l’homme un principe qui ne peut périr ; mais que ce principe reparaisse dans un autre monde, avec le même ordre de facultés et les mêmes lois qu’il avait dans celui-ci, qu’il y porte les conséquences des bonnes et des mauvaises actions qu’il a pu commettre,… c’est là une probabilité sublime qui échappe peut-être à la rigueur de la démonstration, mais qu’autorisent et consacrent le vœu secret du cœur et l’assentiment universel des peuples. » M. Franck est plus confiant : le mot de démonstration ne l’effraie pas ; il a présenté avec autant de clarté que de force toutes les preuves qui en justifient l’emploi, et il les a ramenées à une puissante unité[1].

Nous nous rangeons volontiers du côté de M. Franck, et ne nous sentons nulle envie de contester ses conclusions ; mais depuis que Kant a écrit, et surtout de nos jours, la science métaphysique ne saurait mettre trop de soin à sonder et à raffermir les croyances mêmes qui sont comme les appuis nécessaires de la raison et de la conscience dans la conduite de la vie. Il importe de leur donner, s’il se peut, le caractère scientifique dans un temps où la science aspire à devenir l’unique autorité. Aucune vérité ne brille d’une lumière sans nuage ; nulle preuve n’est absolument sans objection. La philosophie fera donc bien de réviser incessamment les titres de la vie future à la croyance humaine, et de les mettre à l’abri de tout débat. On a vu sur quelles raisons principales M. Cousin fon-

  1. Voyez, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, les articles âme et immortalité.