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ne paraît guère se douter : c’est l’art de laisser dire par les autres ce qu’on aurait de la mauvaise grâce à dire soi-même, Serait-il donc vraiment si difficile, comme l’assurait Horace, de lui point écrire de satire, et le principal secrétaire d’état ne pouvait-il pas, s’en remettre à l’Autriche, à la Russie et à la Prusse du soin d’enterrer le malencontreux projet de congrès, en se ménageant pour lui-même tout le bénéfice de sa réserve auprès d’un gouvernement allié dont le concours était jugé indispensable pour le salut de la monarchie danoise ?

Lord Russell ne se borna pas d’ailleurs à exprimer sa pensée, il fit de la propagande, et une propagande des plus actives même. Pendant tout ce mois de novembre 1863, il perdit presque entièrement de vue les dangers du Danemark et n’eut qu’une seule et fiévreuse préoccupation : il tint à préserver les cours étrangères de la contagion de l’idée française, et ne se lassa pas de prêcher à Vienne, à Saint-Pétersbourg et à Berlin l’abstention du congrès. Il prêchait des convertis, qui ne se refusèrent pas néanmoins le malin plaisir de le maintenir quelque temps dans le doute sur leurs dispositions véritables. On parle ici de la Russie et de la Prusse, car l’Autriche était trop irritée et effrayée pour user d’artifice et déguiser ses sentimens. Le discours du trône du 5 novembre avait été accueilli à Vienne avec une stupeur et une consternation faciles à comprendre. On ne savait comment concilier cette improvisation soudaine avec la politique suivie depuis tant de mois, avec les ouvertures toutes récentes de M. de Gramont touchant une alliance contre la Russie ; on ne se dissimulait pas. non plus, que les principes énoncés dans le manifeste français ébranlaient les fondemens mêmes de la monarchie des Habsbourg. Vainement le cabinet des Tuileries s’efforçait-il bientôt d’atténuer le sens de son manifeste, de dégraisser sa proposition, pour emprunter une expression caractéristique au cardinal de Retz. Dans la seconde moitié de novembre, le prince de Metternich mandait de Compiègne au comte de Rechberg que la France n’entendait soumettre au congrès projeté que quatre « questions pendantes, » à savoir les questions d’Italie, de Pologne, des duchés de l’Elbe et des principautés danubiennes ; que pour l’Italie le cabinet des Tuileries se bornerait à demander la reconnaissance des faits accomplis ; quant aux affaires polonaises, l’intention du gouvernement français serait de revendiquer une autonomie complète pour le royaume de 1815 et une administration séparée pour les « anciennes provinces » (la Lithuanie et la Ruthénie). L’ambassadeur de François-Joseph terminait même sa dépêche en exprimant sa conviction intime que l’empereur Napoléon accepterait encore à ce moment toute combinaison qui pourrait unir la France et l’Autriche dans une action commune