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faire un chaleureux appel à la sensibilité de M. de Bismark. « Je représentans à son excellence, écrit sir A. Buchanan en date du 4 janvier, que la situation actuelle du Danemark était déjà si remplie de fiel pour tout peuple fier et brave, que ses pires ennemis en devraient être satisfaits, qu’il était déjà prêt à livrer tout ce qu’un ennemi triomphant pourrait exiger avec quelque justice… » Hélas ! ce fut là le langage que tint la happy England en faveur de son protégé à un agresseur insolent et qui n’était encore qu’aux portes, — at her gates, comme disait M. Buchanan dans la même dépêche. Le président du conseil de Prusse n’en fut point ému. Il voulait bien accepter une conférence, en discuter les bases, y inscrire même le « maintien du traité de Londres » en première ligne ; mais il n’abandonnait pas l’idée de l’occupation pacifique du Slesvig. « Si les Danois résistaient cependant ? demandait le principal secrétaire d’état en détresse. — Oh ! s’ils résistaient, lui fut-il répondu, alors ce serait un grand malheur, car ce serait la guerre, et la guerre pourrait bien changer les dispositions favorables de la Prusse et de l’Autriche… » Ainsi parlait le ministre de Guillaume Ier ; le comte Rechberg ne put guère dire autre chose, et comme toujours, le prince Gortchakov finit, lui aussi, par trouver que le raisonnement de M. de Bismark avait du bon. « Le vice-chancelier m’a fait ce matin la suggestion, mandait lord Napier de Saint-Pétersbourg en date du 11 janvier, qu’on devrait engager le Danemark à admettre l’occupation du Slesvig par des forces de l’Autriche ou de la Prusse à titre de garantie donnée à ces deux puissances par rapport à la population allemande du duché ; le duc d’Augustenbourg serait en revanche éloigné du Holstein… » Bientôt même le prince Gortchakov exécutait ce beau projet et envoyait à Copenhague la recommandation expresse de ne pas résister à la « prise de gage. »

Le comte Russell n’eut pas l’âme aussi haute. Il écrivit à Saint-Pétersbourg « que le gouvernement de la reine ne croyait pas avoir le droit et n’avait pas certainement l’intention de donner un conseil semblable, » et il prononça même à l’adresse de l’ambassadeur de Prusse des paroles menaçantes. « J’ai dit au comte Bernstorff, racontait-il dans une missive à lord Bloomfield et à sir A. Buchanan, que je ne saurais déterminer d’avance la décision du cabinet et de la reine, mais qu’à en juger par les sentimens du parlement et de la nation, une invasion du Slesvig par l’Allemagne pourrait bien nous amener à donner notre concours au Danemark. Le comte Bernstorff insista fortement sur les dangers que courrait l’Europe, si jamais l’Allemagne et l’Angleterre devenaient ennemies. Je reconnus pleinement ces dangers, mais je dis que la voix de l’Angleterre n’avait pas été entendue alors qu’elle les avait signa-