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Si le radicalisme d’une partie de la population germanique de l’ouest a pu causer quelques embarras au gouvernement, il est juste de reconnaître que les Allemands ont montré un vif attachement, un grand dévouement pour leur nouvelle patrie. Ayant compris dès l’origine le caractère et le but de la guerre civile, ils ont épousé la cause de l’Union et de l’émancipation avec une ardeur et une passion dont le contre-coup a été ressenti jusqu’en Europe par les populations d’outre-Rhin. La part qu’ils ont prise dans la guerre, le courage qu’ils ont déployé sur les champs de bataille, leur hostilité à l’esclavage et au parti démocratique, leur assurent désormais une place importante dans la politique des États-Unis. L’esprit anglo-saxon, exclusif, envahissant et jaloux, il faut le dire, habitué à tout vaincre, à tout absorber, devra compter avec cette force qui s’est révélée dans les jours de lutte et de danger. En Californie comme en Missouri, les Allemands se sont trouvés aussi Américains, je dirais presque plus Américains que les Yankees ; la guerre civile a signé leurs lettres de grande naturalisation. Les véritables amis des États-Unis ne peuvent que s’en féliciter. Il y a dans la race germanique des qualités et des élémens qui sont destinés à rajeunir la race anglo-saxonne. La haute culture allemande a encore bien peu de représentans au-delà de l’Atlantique, et l’Allemagne n’y envoie guère que les plus ignorans et les plus pauvres de ses enfans ; mais ils portent dans leurs veines et dans leur cerveau les germes mystérieux qui, dans la vieille patrie, ont déjà eu leur plein épanouissement. Dans la patrie nouvelle, ces germes ne resteront pas toujours endormis : à l’audace, à la ténacité, à la raideur anglo-saxonne s’alliera quelque chose de neuf, de plus naïf, de plus poétique. Au point de vue même purement physique, on peut attendre quelque chose du mélange des deux races ; l’une est trop nerveuse et irritable, l’autre trop rustique et trop épaisse ; mais leur mariage intellectuel portera sans doute les fruits les plus précieux.

La situation du Missouri n’était, au moment où je m’y trouvais, rien moins que satisfaisante : depuis la prise de Vicksburg, les canonnières fédérales circulaient librement sur tout le Mississipi, mais les relations commerciales entre Saint-Louis et la Nouvelle-Orléans étaient à peu près interrompues ; les transports de l’armée continuaient seuls à donner un reste d’animation au fleuve ; les guérillas tiraient encore fréquemment sur les bateaux à vapeur et étaient toute sécurité aux voyageurs. La violence des partis était extrême ; les démocrates reprochaient à M. Lincoln sa politique émancipatrice, et leur candidat aux fonctions de gouverneur de l’état n’était autre qu’un cousin germain de Sterling Price, qui par deux fois