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ils vinrent frapper aux portes des monastères, demandant qu’on les baptisât. Les monastères aussi en contenaient un certain nombre qui sollicitaient cette grâce avec instance. Jérôme n’osa pas satisfaire à leur vœu, quoiqu’il eût chez lui quelques prêtres en passage. Il craignait d’attirer sur eux tous de nouvelles censures épiscopales en empiétant sur les droits du clergé de la ville. Il engagea donc les catéchumènes à le suivre, et les conduisit lui-même au baptistère de la Nativité. Les prêtres reçurent ceux qui étaient de la paroisse ; ils fermèrent le baptistère aux autres, et Jérôme se vit contraint d’envoyer ses catéchumènes à l’évêque de Lydda, Dionysius, qu’il avait connu à Rome au concile de 382, et dont il savait les bonnes dispositions à son égard. Ainsi point de baptême pour les convertis des monastères, point d’assistance religieuse pour leurs malades, et bientôt plus de sépulture pour leurs morts ! Un ordre impitoyable de l’évêque enleva aux habitans infortunés des couvens la consolation des derniers sacremens et la sépulture chrétienne. Exclus des cimetières comme de l’église et n’ayant pas le courage d’enfouir les dépouilles mortelles de leurs frères et de leurs sœurs dans une terre profane, ils les déposèrent dans un lieu écarté, jusqu’à ce qu’un peu de terre chrétienne leur fût enfin rendue. Telle était la charité de ce prêtre, qui persécutait jusqu’aux morts, et l’on rougit de penser qu’il avait pour conseillers, souvent pour instigateurs, deux Occidentaux, anciens amis des persécutés.

Jean n’était pas encore satisfait : c’est Jérôme qu’il voulait frapper, afin que le troupeau fût dispersé après le pasteur. Il avait imaginé pour cela un moyen infaillible : c’était de dénoncer le prêtre romain au préfet du prétoire, premier ministre et tuteur d’Arcadius (on était en 394), comme un homme dangereux, un moine factieux d’Occident, qui mettait le trouble dans toute la Palestine. Ce premier ministre d’Arcadius portait, par un des hasards de l’histoire, le même nom que le prêtre ancien ami de Jérôme ; c’était ce Rufin dont l’histoire nous fait connaître les cruautés, l’avarice, l’ambition effrénée[1], et qui projetait dès lors contre Stilicon cette guerre fratricide qui finit par séparer Constantinople de Rome et diviser le monde romain en deux empires ennemis. Rufin, qui quêtait des appuis parmi les évêques orientaux, accueillit avec faveur la dénonciation arrivée de Jérusalem, et rendit au nom de l’empereur un décret de bannissement contre Jérôme. Les documens contemporains nous disent que Jean ne l’obtint pas gratuitement de cette cour corrompue, et qu’il ne ménagea près des affidés du ministre ni l’or ni les promesses ; enfin il l’obtint, et l’arrêt était parvenu

  1. Voyez sur Rufin la Revue du 1er novembre 1860.