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primaires ; de nombreuses bibliothèques sont accessibles à tout le monde ; la presse enfin livre à la population de Philadelphie 8 journaux du matin, 4 journaux du soir, 29 journaux hebdomadaires, sans compter une foule de recueils périodiques, religieux, littéraires ou scientifiques. La ville de Penn n’a point oublié les paroles de son fondateur : « un gouvernement a beau être bon, si les hommes sont mauvais, ils gâteront le gouvernement ; ce qui conserve le gouvernement, c’est la sagesse et la vertu des hommes, lesquelles, n’étant point héréditaires, doivent être propagées par l’éducation de la jeunesse. » Le dirai-je pourtant ? jusque dans ces dernières années, la sagesse et la vertu de Philadelphie ont pu être trop souvent comparées à la piété du pharisien. Sous le manteau de la bigoterie religieuse et philanthropique se sont souvent cachés l’égoïsme, l’esprit de lucre, la dureté ; la ville des quakers a été l’un des derniers asiles du commerce honteux de la traite ; les efforts courageux des abolitioniates de la Nouvelle-Angleterre n’y ont jamais trouvé beaucoup d’encouragement ni d’appui. Le parti démocratique a bien longtemps régné en maître dans une ville où l’émigration lui apportait sans cesse de nouvelles recrues ; mais, depuis que la guerre civile a éclaté, Philadelphie est sortie de sa longue apathie morale : la cause fédérale a réveillé des flammes endormies et y a trouvé des défenseurs nombreux, enthousiastes et résolus. En ce point, Philadelphie ne diffère pas de la plus grande partie de l’Union : dans presque toutes les provinces, la conscience publique s’était endurcie par la prospérité. Complice de l’esclavage, le nord avait fini par confondre les idées de servitude et de liberté ; l’habitude des sophismes, des compromis et des mensonges politiques avait par degrés éteint cette vertu sans laquelle Montesquieu dit que ne peuvent vivre les démocraties. Il arrive souvent qu’un malheur soudain, en troublant les joies d’une jeunesse étourdie et frivole, la prépare mieux que toutes les leçons des moralistes à la : sagesse et aux sévères responsabilités de l’âge mûr. Il est permis de dire aussi que la guerre civile n’a pas été sans profit pour la république américaine, car elle l’a rendue en quelque sorte à elle-même et à ses nobles traditions.

En parcourant deux fois dans des directions opposées les États-Unis du nord, je trouvai partout l’expression de ces sentimens ; le langage ne changeait point avec la longitude ou la latitude : les différences politiques qu’autrefois il était possible de signaler entre les états de la Nouvelle-Angleterre, entre les états de l’ouest, les border-states, les grands états du centre s’étaient effacées graduellement. Les passions et les doctrines qui jadis n’avaient eu pour foyer que les provinces de la Nouvelle-Angleterre s’étaient ré-