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grande masse conservatrice qui sépare les deux ailes extrêmes de la Nouvelle-Angleterre et des états de l’ouest, où le bouillonnement des doctrines nouvelles est toujours le plus tumultueux. La vie politique est, si l’on me permet le mot, plus intense aux extrémités qu’au centre : l’indépendance absolue du pionnier, l’orgueil du Yankee, fondé sur une culture intellectuelle très avancée, sur la longue pratique des" institutions libres, exercent aux deux bouts du territoire de l’Union la même influence. Entre les plus anciens et les plus nouveaux états vit un peuple plus calme, plus ennemi des nouveautés, moins facile à émouvoir et à passionner, excepté lorsqu’il s’agit de ce qui touche à l’existence même de la nation. Les états frontières enfin ont été longtemps un terrain neutre où les idées incompatibles du nord et celles du sud ont pu vivre passagèrement côte à côte. La guerre civile déchaînée, ces provinces sont devenues le champ de bataille des deux confédérations rivales. Elles ont appris récemment, au prix de grandes douleurs et de terribles sacrifices, qu’elles ne pouvaient séparer leur cause de celle du nord : instruites par l’expérience, elles seront bientôt les champions les plus ardens et déjà elles sont devenues les foyers les plus actifs de la propagande émancipatrice. C’est là qu’il faut chercher aujourd’hui les hommes d’état les plus résolus, les plus hardis, ceux qui se préoccupent le plus vivement d’empêcher le retour de la guerre civile et de désarmer les partisans de l’esclavage. Puisse le jour venir bientôt où ce mot de border-state n’aura plus de sens, et où, sous des institutions communes, l’Union régnera dans les cœurs depuis le Maine jusqu’au Rio-Grande, comme elle est maintenant rétablie par les armes !

Si ces souvenirs de voyage ont montré quelle puissante énergie la société américaine déployait encore après quatre ans de guerre civile, j’aurai atteint mon but. Je n’ajoute plus que quelques réflexions. Quand les blessures aujourd’hui encore saignantes seront cicatrisées, on verra que la guerre a fortifié plus qu’elle n’a affaibli l’Union. Elle a révélé au peuple américain toute la profondeur du sentiment qui l’y attache. En lui imposant de terribles sacrifices, en le condamnant à de grandes douleurs, elle l’a porté comme d’un coup de la jeunesse à la maturité. Elle a rendu à la constitution fédérale son caractère primitif, au pouvoir exécutif la force dont l’école démocratique l’avait par degrés dépouillée ; elle a mis fin à la contradiction fatale entre la servitude et la liberté ; elle a donné à la nation plus de confiance en elle-même, dans la grandeur de ses destinées, dans la noblesse de ses idées épurées et désormais sans alliage. Elle a montré que la liberté est assez forte, non-seulement pour soulever un jour les hommes contre une tyrannie, mais