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I

Dans les sciences physiques et chimiques, lorsque l’on veut connaître les conditions qui déterminent la production des phénomènes, on fait ce que l’on appelle des expériences : on supprime telle ou telle circonstance, on en introduit de nouvelles, on les varie, on les renverse, et, par toute sorte de comparaisons, on cherche à découvrir des effets constans liés à des causes constantes. Il est très difficile d’appliquer une telle méthode à la question qui nous occupe, au moins dans l’humanité ; on ne peut à volonté, si ce n’est dans des cas très rares et avec quelques périls, jouer avec l’intelligence humaine, comme avec des vapeurs ou des gaz[1] ; mais, hélas !…la nature, se substituant à l’art, fait en quelque sorte à notre place de tristes expériences, lorsque, sous l’influence des causes les plus diverses, elle trouble, elle bouleverse, elle anéantit chez l’homme le sentiment et la raison. C’est ce qui a lieu dans ce cruel et mystérieux phénomène que l’on appelle la folie, ce désordre si étrange que quelques médecins mystiques ont voulu y voir une expiation et un châtiment de nos péchés et de nos passions. Il semble qu’une si triste expérience devrait avoir au moins l’avantage de jeter quelque lumière sur le problème que nous étudions, car si l’on découvrait dans quelle condition se trouve le cerveau lorsque la pensée s’égare, on pourrait conclure de là par opposition les conditions normales de l’exercice de la pensée. La folie par malheur, bien loin d’éclaircir ce mystère, y introduit, des obscurités nouvelles et plus profondes encore.

C’est d’abord un fait reconnu par les médecins les plus judicieux et les plus éclairés que l’anatomie pathologique, dans les maladies cérébrales, est pleine de pièges, de mystères, de contradictions. « On peut poser en principe, dit M. Jules Falret, qui dans la médecine mentale soutient dignement le nom paternel, que les lésions les plus légères des membranes ou de la surface du cerveau sont accompagnées des troubles les plus marqués des fonctions intellectuelles, motrices et sensitives, tandis que les lésions les plus considérables peuvent exister pendant de longues années dans l’encéphale sans déterminer de perturbation notable des fonctions cérébrales, quelquefois même sans donner lieu à aucun symptôme appréciable… Comment comprendre en outre l’intermittence fréquente

  1. On a pourtant fait des expériences de ce genre : telles sont celles du docteur Moreau, de Tours, sur le haschish ; mais, outre qu’elles ne peuvent pas se renouveler sans danger, elles ne donnent guère de résultats appréciables sur l’état physiologique du cerveau pendant l’ivresse. De telles expériences n’ont qu’un intérêt psychologique.