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À la vérité, on peut retourner la formule de M. Moleschott, qui soutient cette théorie, et au lieu de dire : La pensée est un mouvement, on dira : Le mouvement est une pensée ; mais cette seconde proposition est le renversement de la première. Loin d’expliquer la pensée par la mécanique, on explique la mécanique par la pensée. Je ne suis pas porté à croire que cette seconde proposition soit plus vraie que la précédente. En tout cas, elle est préférable, et nous n’avons pas à nous en occuper ici.

Écartons aussi du débat actuel (car il ne faut pas mêler toutes les questions) la grande hypothèse suivant laquelle toutes les pensées ou tous les mouvemens de l’univers ne sont que les modes d’une même substance, d’un substratum universel, qui absorbe toutes les différences dans son indivisible unité. Nous ne sommes pas en mesure de discuter ici cette séduisante et redoutable doctrine. Réduisant la question à des termes précis, nous disons : La pensée est-elle un phénomène que la série des phénomènes matériels amène dans son développement ? Si nous circonscrivons dans l’ensemble des phénomènes matériels de l’univers cette portion limitée que nous appelons un corps, un cerveau, la pensée est-elle à ce cerveau ce que la forme ronde est à la sphère, ce que le mouvement est à la pierre qui tombe, ce que le droit ou le courbe est au mouvement ? Non, la pensée a une source plus haute, et fussions-nous spinoziste, nous dirions encore que la pensée a sa source en Dieu, et que les phénomènes corporels qui l’accompagnent n’en sont que les conditions extérieures et les symboles imparfaits.

Ceux qui soutiennent que la pensée est un mouvement font valoir deux considérations empruntées aux nouvelles découvertes de la science. — Nous voyons, disent-ils, les vibrations de l’éther se changer en lumière ; nous voyons la chaleur se transformer en mouvement, et le mouvement en chaleur. Une même force peut donc se manifester sous deux formes différentes, et il n’y a pas de contradiction à supposer que les mouvemens du cerveau se transforment en pensée. — Ceux qui se servent de ces comparaisons ne s’aperçoivent pas qu’ils tombent dans ce genre de sophisme qui consiste à prouver le même par le même (idem per idem) : c’est ce qu’il n’est pas difficile d’établir.

On nous oppose que les vibrations de l’éther deviennent de la lumière et de la couleur sans être en elles-mêmes ni lumineuses, ni colorées ; mais on oublie ce que les cartésiens avaient déjà si profondément aperçu, à savoir que le mot de lumière signifie deux choses bien distinctes : d’une part, quelque chose d’extérieur, la cause objective, quelle qu’elle soit, des phénomènes lumineux, cause qui subsiste pendant, avant, après la sensation, et indépendamment