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Les ministres alliés n’avaient point à se départir de l’attitude expectante qu’ils avaient adoptée depuis leur retour à Shang-haï. La réception qui venait d’être faite à M. Ward n’était point de nature à les attirer vers Pékin. Leur expérience ne leur permettait point de douter des difficultés de toute sorte qu’ils rencontreraient dans la capitale, s’ils voulaient y revendiquer les droits inscrits dans les traités de Tien-tsin. Tout en observant les démarches conciliantes par lesquelles on cherchait à effacer les traces du récent conflit, ils sentaient bien que l’esprit chinois ne tarderait pas à reprendre le dessus, et que dans les circonstances présentes un rapprochement sérieux était devenu impossible. Enfin comment se seraient-ils résignés à dévorer l’affront de Takou et à s’engager de nouveau sur la route de Pékin, non plus comme des vainqueurs apportant les conditions d’une paix qu’ils avaient imposée l’année précédente, mais comme des vaincus allant, au lendemain de la défaite, implorer la clémence impériale ? D’un autre côté, le ministre d’Angleterre ne se dissimulait pas qu’il existait dans son pays un parti nombreux et puissant qui, après avoir exprimé une répugnance très vive contre l’expédition de Chine, se montrerait sans doute peu disposé à accepter les dépenses et les embarras d’une seconde campagne : il voyait de loin le mécontentement que devait produire à Londres l’annonce des événemens de Takou ; il entendait les plaintes des partisans de l’économie et de la paix, qui en aucun temps n’avaient voulu admettre que la dignité ni les intérêts commerciaux de l’Angleterre dussent être compromis par les fanfaronnades de quelques mandarins. Il jugeait donc qu’il lui convenait de laisser la question entière, sans la compliquer par aucune démarche amicale ou hostile qui pût engager la politique de son gouvernement, dont il attendait les ordres avec une impatiente anxiété. Quelle que fût sa conviction, partagée par son collègue de France, quant à la nécessité de reconquérir par la force le prestige européen, qui venait de recevoir une si rude atteinte, il se voyait retenu par le sentiment de la responsabilité. Pour le moment d’ailleurs, l’absence de troupes suffisantes pour appuyer des paroles de guerre le condamnait à l’inaction. De là une situation vraiment unique dans l’histoire du droit des gens : des ambassadeurs accueillis à coups de canon demeuraient sur le sol ennemi avec leur caractère officiel ; leurs nationaux continuaient à faire le commerce comme par le passé ; les autorités locales adressaient des dépêches et des complimens aux consuls, qui leur répondaient poliment ; les populations du centre et du sud ne se préoccupaient en aucune façon de ce qui était arrivé dans le nord, peut-être même elles l’ignoraient. Les relations et les transactions suivaient leur cours