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même temps que la prière de l’assister dans ses efforts pour étouffer une secte impie. On ne peut se figurer l’étonnement que de pareilles lettres causèrent tant à Bethléem qu’à Jérusalem : à Jérusalem, ce fut un coup de foudre, à Bethléem un rayon de soleil dans la nuit. Jean, qui était exempt de tout fanatisme dogmatique et à qui il était indifférent de dire du bien ou du mal d’Origène dans ses catéchèses, Jean, qui n’avait qu’une seule ambition, celle de se fortifier au dehors contre son métropolitain, et qui trouvait dans l’alliance du patriarche d’Alexandrie un appui qu’il faisait sonner bien haut, Jean ne se révolta point de la brusque conversion de son ancien juge, et, réfléchissant que ce changement entraînait nécessairement le sien, il fit à Jérôme des ouvertures de paix. Vainqueur sur tous les points, celui-ci pouvait-il refuser ? Cette longue séparation l’avait trop vivement tourmenté, elle avait trop durement affecté ses amis, et la paix fut conclue. Au reste, il faut le dire à l’honneur de Jean de Jérusalem, il se réconcilia sans arrière-pensée. Bethléem prit donc en un clin d’œil une autre physionomie, comme par l’effet d’une incantation magique. Les portes de la basilique et de sa crypte se rouvrirent aux habitans des monastères, leurs catéchumènes furent admis aux fonts baptismaux, et leurs morts allèrent reposer saintement en terre chrétienne. Jean fit plus. Non moins excessif dans cette voie nouvelle qu’il l’avait été dans l’autre, il ne se contenta pas de reconnaître Paulinien pour prêtre et de l’admettre dans son clergé, il offrit à Jérôme la direction de l’église paroissiale, et Jérôme l’accepta, afin de conjurer pour l’avenir les événemens dont il venait d’être victime. Les prêtres de Bethléem lui furent complètement soumis, quoiqu’il n’exerçât pas les fonctions curiales.

Rufin ne pouvait rester isolé au milieu d’une paix si complète : l’évêque tint à honneur de rapprocher les deux anciens amis. Jérôme et Rufin assistèrent à une messe qu’il célébra pour eux dans l’église de la Résurrection ; ils y communièrent ensemble et se donnèrent la main sur le sépulcre du Dieu qui avait pardonné à ses bourreaux. Dans le cœur de Jérôme, la réconciliation fut sincère, fervente même, et il s’y mêla des élans de retour vers les affections de sa jeunesse ; dans celui de Rufin, elle fut compassée et froide : chez le moine superbe, l’émotion de l’orgueil humilié dominait toutes les autres. Jérusalem n’était plus pour lui qu’un lieu de supplice, dont la vue lui pesait. Il la quitta donc presque aussitôt pour se rendre à Rome, comme un général vaincu change de position pour recommencer la guerre avec de nouvelles armes. Mélanie resta seule à Jérusalem.


AMEDEE THIERRY.