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vait avoir pour effet d’embarrasser et de retarder les opérations. Quant au sentiment de rivalité que l’esprit de corps a de tout temps entretenu entre l’armée de terre et l’armée de mer, il devait se montrer plus ou moins ouvertement dans le cours d’une expédition où le soldat et le marin se trouvaient si fréquemment en contact. Ainsi jalousie internationale, susceptibilité du commandement, passion de l’esprit de corps, tout était de nature à créer, sinon des conflits sérieux entre alliés, du moins des situations délicates. Nous n’exprimons ces réflexions que pour faire mieux ressortir le mérite de l’heureux accord qui subsista entre les commandans français et anglais, entre les deux armées et les deux marines. Les documens officiels qui ont été publiés montrent bien que, dans certaines occasions, les inconvéniens presque inséparables de l’action commune faillirent se produire ; mais ces occasions furent rares, et les petits dissentimens ne compromirent pas un seul instant la bonne direction de l’expédition. Quoi qu’il en soit, la campagne de Chine peut, à la suite des campagnes de Grimée et d’Italie, fournir d’utiles enseignemens sur les difficultés que soulèvent l’organisation et la conduite d’armées alliées. Pour tout esprit impartial et attentif, l’expérience conseille l’unité de commandement et de responsabilité, même à la tête de drapeaux différens. On ne saurait se fier uniquement aux qualités personnelles, aux dispositions conciliantes des chefs, que le sentiment de l’amour-propre national, si haut et si bien placé chez les militaires, peut trop aisément détacher de l’intérêt commun. Là, comme dans la direction de toute affaire, c’est le principe d’unité qui est destiné à prévaloir.

Dès le mois de juin, les troupes françaises avaient été débarquées à Tche-fou et les troupes anglaises à Talien-houan. Dans ces deux cantonnemens, situés à vingt lieues de distance et en regard l’un de l’autre à l’entrée du golfe de Pe-tchi-li, elles devaient s’organiser et se tenir prêtes à s’embarquer de nouveau pour pénétrer dans le golfe et entrer définitivement en campagne. Pendant que des reconnaissances étaient occupées à rechercher les points les plus favorables pour effectuer le débarquement du corps d’armée dans le voisinage des forts de Takou, le baron Gros et lord Elgin eurent à se concerter sur la conduite à tenir à l’égard du gouvernement chinois. Leurs instructions prévoyaient deux hypothèses : ou bien, lors de leur arrivée en Chine, l’ultimatum adressé à Pékin par MM. de Bourboulon et Bruce aurait été accepté, et la paix se trouverait rétablie, ou bien, par suite du rejet de cet ultimatum, les hostilités seraient engagées. Dans l’opinion de lord Elgin, aucune de ces deux hypothèses n’était réalisée : l’ultimatum avait été rejeté, mais il n’y avait encore eu aucun acte d’hostilité. D’a-