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LA POESIE
ET
LES POETES EN 1865

Est-il vrai que les siècles aient une destinée comme les hommes ? Est-il vrai que ces grandes existences collectives soient soumises, comme les existences individuelles, à des conditions impérieuses, et qu’après les rêveries de l’enfance, après le tumultueux essor de la jeunesse, après les œuvres savoureuses de l’âge mûr, elles soient condamnées à l’inévitable déclin ? Rien de plus faux, si on ne voit dans ce mot de siècle qu’une période de cent ans, la période officielle en quelque sorte, celle qui commence et finit à jour fixe. Attachez-y un sens plus idéal, voyez-y surtout cet ensemble de sentimens et de pensées qui impriment un même caractère à une suite de générations. Aussitôt vous serez tenté de dire : Les siècles ont une âme, ils ont un esprit, une vocation, une destinée qui leur est propre ; ils naissent, ils grandissent, ils vivent, et quand ils ont combattu longtemps, — car vivre c’est combattre, comme disait le philosophe latin, vivere est militare, — ils meurent, victorieux ou vaincus.

À ce point de vue, il est incontestable que notre XIXe siècle a traversé déjà ses années d’enfance, ses heures de vive jeunesse, et que, parvenu à sa maturité, il est engagé désormais dans ce combat de la vie dont l’issue lui assignera son rang parmi les âges. Saura-t-il défendre les principes spiritualistes qui ont éclairé ses premiers pas d’une si belle lumière, ces principes qui, proclamés par les penseurs et chantés par les poètes, formaient véritablement ce trésor commun qu’on peut appeler l’âme d’une époque ? Saura-t-il les défendre, c’est-à-dire les renouveler et les agrandir ? Res-