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l’autre, la poésie lyrique, la poésie annoncée, en 1820 par ce petit volume anonyme intitulé simplement Méditations et continuée pendant les quinze années qui suivirent par les strophes éclatantes, de Victor Hugo, les rêveries idéales d’Alfred de Vigny, les fantaisies étincelantes de Musset, la passion subtile et pénétrante de Sainte-Beuve, les iambes vengeurs de Barbier, les idylles savamment agrestes de Brizeux. Ce concert merveilleux où éclatèrent tant de voix originales appartient à l’adolescence du XIXe siècle ; il a commencé, il a fini avec ces vives années d’enthousiasme et d’espoir. Certes, à côté des poètes que je viens de nommer, plus d’un a fait encore entendre des chants harmonieux, des talens nouveaux se sont révélés ; chacun pourtant suivait désormais son sentier, les voix ne s’accordaient plus, le concert des quinze années avait jeté au vent ses dernières notes. Les efforts, les bizarreries, les subtilités, le dilettantisme ou les tristesses de ceux qui vinrent plus tard s’expliquent par cette situation même ; les glorieux aînés d’avance avaient dérobé les cadets. Le siècle grandissait d’ailleurs, il avait ses soucis et ses luttes ; des intérêts, non pas certes plus élevés, mais plus urgens, le réclamaient tout entier. En était-ce donc fait de la poésie, du XIXe siècle ? La période de l’inspiration était-elle fermée ? Fallait-il croire enfin que, dans le développement d’un siècle, la poésie est le privilège exclusif de son adolescence et que sa virilité veut des œuvres d’un autre ordre ? Bien des gens, nous le savons, seraient disposés à régler les choses de la sorte. C’est une philosophie de l’histoire assez commode, soit qu’on prétende cacher sous cette gravité trompeuse l’indifférence et la sécheresse de son esprit, soit qu’on ait intérêt, poète soi-même et poète malheureux, à dissimuler sa déconvenue. « Des poèmes ! dit-on, c’est bien tard, l’heure est passée, la muse de nos jours a dit tout ce qu’elle avait à dire. Vous allez répéter vos devanciers, et si vous essayez d’éviter ce péril, vous êtes condamné infailliblement aux laborieuses puérilités de la forme. Ressasser des idées ou tourmenter des mots, voilà votre sort. Quand un siècle nouveau se lèvera, quand un autre mouvement d’idées, ouvrant des perspectives inattendues, saisira les imaginations, ce siècle aura ses poètes en ses heures de jeunesse, comme le spiritualisme libéral de nos jours a été chanté de 1820 à 1835 par M. de Lamartine et ses émules. »

S’il y a du vrai dans ces conseils, la conclusion est fausse., L’histoire réfute ces théories impérieuses qui prétendent assigner la poésie à telle période et l’interdire à telle autre. Les conditions, les sujets, les devoirs de la poésie peuvent changée et, changent en effet de génération en génération ; la poésie est immortelle. L’instinct pétîque est aussi indestructible au fond du cœur de l’homme que l’instinct philosophique et l’instinct religieux, Ces trois forces