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Après avoir demandé aux méditations philosophiques et aux enchantemens des solitudes le Dieu dont son âme est avide, le poète alla le chercher plus simplement dans le récit de la vie et de la mort de Jésus. Les Poèmes évangéliques sont une troisième évolution, une évolution toute logique de la pensée du poète ; On dirait qu’il reproduit spontanément dans les rêves secrets de son intelligence le travail du genre humain lui-même. Des temples de l’antique sagesse, il nous avait conduits sous les vieux chênes celtiques qui abritèrent le berceau des races modernes ; il était temps de faire entendre la bonne nouvelle aux peuples régénérés. L’élévation philosophique, l’amour enthousiaste de la nature, la pureté, du sentiment religieux, ces trois choses que M. de Laprade avait développées séparément dans ses trois premières, œuvres, il essaya d’en faire un harmonieux accord ; de là le recueil des Symphonies, et, quelques années après, les Idylles héroïques. Encore une transformation : ce que l’auteur appelait des symphonies, c’étaient des pièces d’une forme assez nouvelle, des pièces où une pensée philosophique, religieuse, morale, se déroule comme une scène dramatique, des pièces où plusieurs voix se répondent, tour à tour, où l’homme interroge la nature, où la nature a ses échos dans le cœur de l’homme, où Dieu lui-même se fait entendre, de même que Beethoven recueillait les voix du monde extérieur, et, combinant l’andante l’allegro, le scherzo, composait de tous ces bruits et de tous ces contrastes les pages merveilleuses dont le poète voudrait dérober le secret au musicien.

Quelles sont ces voix du silence que l’auteur de Psyché fait retentir aujourd’hui ? Encore des chants de l’âme, mais dont les notes plus variées, plus calmes, plus souriantes, conviennent au soir d’une journée laborieuse. On y retrouve quelque chose des œuvres précédentes sous une forme où la sympathie domine. Les abstractions ont presque entièrement disparu. La philosophie et la poésie, trop séparées naguère, s’unissent harmonieusement. Le poète est toujours à la poursuite de l’idéal, mais il a quitté ces âpres sommets, où le lecteur hésitait à le suivre, c’est par les prés en fleur, par les bois embaumés qu’il noud conduit à sa tour d’ivoire. Il y a quelque chose de Spenser et de Tennyson dans ces graves féeries. Le poète emprunte, non pas une légende précise, mais des figures, des couleurs, à notre vieille poésie du cycle d’Arthur, et ce cycle efféminé, qui ne représentait que trop gracieusement l’immoralité naïve du moyen âge, acquiert entre ses mains une élégance virile. Que M. de Laprade condamne tant qu’il voudra, et souvent avec une rigueur injuste, l’esprit de notre XIXe siècle, cette transfiguration des poèmes du Saint-Graal est la réponse que je lui