Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/640

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mort, tout un cycle sans modèle, ont inspiré ensuite ces toiles où l’auteur lutte avec le vieil Orcagna aussi bien qu’avec Léopold Robert, et met à nu les misères engendrées par la civilisation la plus riche ! Citoyen, artiste, philosophe, M. Barbier avait obéi à une inspiration fortuite, quand il avait traduit en figures grandioses les impressions que lui avaient laissées la France, l’Italie, l’Angleterre ! Souhaitons aux poètes que nous attendons des hasards comme ceux-là. Au lieu d’opposer ainsi, dans l’œuvre de M. Barbier, les dernières productions aux premières, ne serait-il pas plus juste de signaler chez lui cette persévérance de l’artiste qui pouvant se taire et jouir de sa renommée, s’exerce encore à des tentatives imprévues ? Il y a de la bonhomie dans cette ardeur ; il y a la joie d’écrire, de composer, d’imaginer des formes nouvelles pour l’expression de sa pensée, ce que Goethe, appelait si bien Lust zu fabuliren, il y a aussi le désir plus grave de dire son mot sur les mœurs publiques. M. Auguste Barbier, quel que soit le ton de ses vers, est le chantre des doctrines morales, et quand on s’intéresse comme lui au progrès du genre humain, on a toujours, triste ou joyeux, un fonds de vérités à mettre en œuvre. Corneille, — je vais embarrasser un instant la modestie de M. Barbier, — Corneille aussi, quand il eut composé ses quatre chefs-d’œuvre, aurait pu s’arrêter sans que sa gloire en souffrit. « Au-dessus de Polyeucte, a dit Fontenelle, il n’y arien. » L’auteur de Polyeucte ne pensait pas de la sorte. « Quoi donc ! lui disait son instinct, parce que, jeune encore, j’ai créé mes chefs-d’œuvre, je m’interdirais à l’avenir les joies de l’imagination ! Parce que j’ai trouvé pour peindre l’héroïsme des traits que je ne surpasserai point, je renoncerais à l’étude de l’homme et de ses luttes intérieures ! » Et il imaginait des intrigues, il combinait et compliquait des drames, il tentait enfin les régions inconnues, au risque de s’y perdre cent fois pour une. Un des grands contemporains de l’auteur du Cid nous parle de sa voix qui tombe et de son ardeur qui s’éteint ; la voix de Corneille peut tomber, son ardeur ne s’éteint pas.

Je crois deviner que le lecteur a souri : voilà, pense-t-on, un rapprochement un peu hasardé, voilà du moins bien des détours pour dire, à un poète aimé, que ses Satires ne valent pas ses Iambes. Non certes, ce n’est pas là ce que je veux lui dire, car il le sait mieux que moi… J’ai essayé seulement, par ces analogies lointaines, d’indiquer à un public distrait une situation délicate et touchante. Loin d’opposer aux Satires de M. Auguste Barbier les créations puissantes de sa jeunesse, besogne à mon avis peu digne de la critique, puisqu’elle serait aussi facile qu’injuste, je serais tenté plutôt de défendre le poète contre ses propres défiances. J’aimerais à le pro-