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Beaucoup de médecins et de naturalistes ont exploité ces divers argumens pour s’élever contre l’emploi de l’expérimentation chez les êtres vivans. Ils ont admis que la force vitale était en opposition avec les forces physico-chimiques, qu’elle dominait tous les phénomènes de la vie, les assujettissait à des lois tout à fait spéciales, et faisait de l’organisme un tout vivant auquel l’expérimentateur ne pouvait toucher sans détruire le caractère de la vie même. Cuvier, qui a partagé cette opinion, et qui pensait que la physiologie devait être une science d’observation et de déduction anatomique, s’exprime ainsi : « Toutes les parties d’un corps vivant sont liées ; elles ne peuvent agir qu’autant qu’elles agissent, toutes ensemble. Vouloir en séparer une de la masse, c’est la reporter dans l’ordre des substances mortes, c’est en changer entièrement l’essence[1]. »

Si les objections précédentes étaient fondées, il faudrait reconnaître, ou bien qu’il n’y a pas de déterminisme possible dans les phénomènes de la vie, ce qui serait nier purement et simplement la physiologie expérimentale, ou bien il faudrait admettre que la force vitale doit être étudiée suivant une méthode particulière, et que la science des corps vivans doit reposer sur d’autres principes que la science des corps inertes. Ces idées, qui ont été florissantes à d’autres époques, s’évanouissent aujourd’hui de plus en plus sous l’influence des progrès de la physiologie. Cependant il importe d’en extirper les derniers germes, parce que ce qui reste encore de ces idées dans certains esprits constitue un véritable obstacle à la marche de la science physiologique et de la médecine expérimentale. Je me propose de démontrer que les phénomènes des corps vivans sont, comme ceux des corps bruts, soumis à un déterminisme absolu et nécessaire. La science vitale ne peut employer d’autres méthodes ni avoir d’autres bases que celles de la science minérale, et il n’y a aucune différence à établir entre les principes des sciences physiologiques et ceux des sciences physico-chimiques.


I.

La spontanéité dont jouissent les êtres vivans n’empêche pas le physiologiste de leur appliquer la méthode expérimentale[2]. En effet, malgré cette spontanéité, les êtres vivans ne sont pas indépendans des influences du monde extérieur, et leurs fonctions sont con-

  1. Lettre de Cuvier à J.-C. Mertrud, Leçons d’anatomie comparée, p. 5, an viii.
  2. Je renvoie le lecteur, pour la démonstration technique de ces considérations, à un ouvrage qui ne tardera pas à paraître sous ce titre : Introduction à l’étude de la médecine expérimentale.