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Renoncer à toute idée de s’arrêter en route ? Si j’osais émettre une opinion personnelle, je dirais que raisonnablement il n’y a point lieu à grande crainte ; mais d’une assemblée hongroise peut-on jamais être assuré d’avance qu’elle fera ce qui semble le plus raisonnable ? C’est avec l’imprévu qu’on doit surtout compter, et quiconque possède à un certain degré l’expérience du caractère hongrois a le droit de se demander si le lendemain de son ouverture la diète ne prendra pas un tout autre air que celui de la veille. Bien des raisons, je le sais, parlent en faveur de la modération : la fatigue et l’appauvrissement du pays, sa relative immobilité politique, et la nécessité (grande pourtant dans ce siècle de solidarité) de ne pas renoncer par un coup de tête à la considération de l’Europe ; mais la modération peut n’être pas populaire dans l’instant où l’on en aura le plus besoin, et alors quelle sera la tournure des choses des deux côtés de la Leitha ?

Oui, sans doute, une certaine panique règne à cet endroit dans le public de Vienne, et le passé de l’Autriche sert ici de prétexte à bien des appréhensions. Le mot de réaction vole de bouche en bouche, et dans un pays où toute liberté date d’une heure si récente, on se voit au moindre changement en passé de rebrousser chemin vers le moyen âge et la féodalité. La réaction cependant n’est pas à craindre en Autriche, et quand même il arriverait demain un ministère composé des élémens les plus rétrogrades, les Thun, les Salm, les Clam, je suis convaincu que ce ministère se montrerait ni plus ni moins constitutionnel que n’a été celui de M. de Schmerling, ou que ne le serait un cabinet sorti d’une majorité de l’extrême gauche. Le budget est un non moins grand maître que le temps, et les pays à déficits réguliers ne peuvent se permettre certains actes, celui par exemple de se mettre l’Europe moralement à dos. Ce qui rend d’ailleurs la réaction impossible, c’est le caractère même du peuple autrichien. Tout jeune, tout embarrassé de lui-même qu’il soit dans la carrière politique, ce pays d’Autriche possède déjà un vrai public, une opinion publique, non-seulement saine et sagace, mais élevée. Ce qu’on peut nommer le peuple autrichien a eu de tout temps la nature, les instincts les plus honnêtes ; malheureusement il est resté aux individus qui le composent, après tant d’insuccès de tout genre, un esprit d’incurable méfiance. Réunissez ces individus néanmoins, et vous avez un public qui ne se trompe guère et qui va au droit et à l’honnêteté par une sorte d’élan naturel. Dès l’instant qu’il s’agit d’une véritable infortune ou d’un succès national dont on doive être fier, la vie se retrouve, et vous voyez que ni le dévouement ni l’enthousiasme ne manquent. Fiez-vous alors à l’homme de la rue comme au plus grand seigneur : le prince de l’empire et le Wiener-Fia-