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fiaient, donc ces protestations réitérées d’amitié et de bon accord depuis Tien-tsin ? Pourquoi ce défilé de mandarins, tous plus humbles, plus soumis les uns que les autres ? À quoi bon ces dépêches suppliantes dont nous avons indiqué à dessein l’énumération peut-être monotone ? Et comment concilier cette attitude avec les préparatifs de résistance armée qui se révélèrent le 18 septembre ? L’explication serait simple, si l’on admettait que dès le premier jour le cabinet de Pékin avait l’idée de leurrer les alliés par de vaines promesses, de les attirer pas à pas au moyen de fausses négociations, et de les faire tomber traîtreusement dans le piège au moment où ils espéraient saisir la paix ; mais, sans avoir plus de respect qu’il ne convient pour le caractère chinois, nous croyons que cette explication ne donne pas le mot de l’énigme. Il y avait là autre chose qu’une trahison préméditée. Divers documens, trouvés dans les archives de l’empereur de Chine, fournirent plus tard des indications assez précises sur les pensées et sur les projets qui s’agitaient à Pékin pendant que les alliés étaient en marche. Nous pouvons y jeter un coup d’œil. Après avoir entendu le langage que les commissaires impériaux tenaient aux ambassadeurs dans leurs communications diplomatiques, nous allons lire, en un dossier qui était évidemment destiné à demeurer confidentiel, l’opinion intime de l’empereur et de ses principaux mandarins. Cette enquête, entreprise à l’aide de documens dont la sincérité est incontestable, peut jeter quelque lumière sur les faits qui viennent d’être racontés et sur les manœuvres contradictoires de la politique chinoise, manœuvres dont le sens devait, sur le moment même, échapper à lord Elgin et au baron Gros.

La première pièce de ce curieux dossier est un rapport secret adressé à l’empereur par San-ko-lin-sin le 26 août, peu de jours après la prise des forts de Takou. Le général reconnaît qu’il a été vaincu, il craint qu’il ne soit très difficile d’obtenir la soumission des barbares, et il annonce qu’il a pris les dispositions nécessaires pour garder la route de Tien-tsin à Tong-chaou. Cependant il se montre moins confiant qu’il ne l’était naguère dans le destin des combats ; il supplie donc l’empereur de ne point demeurer dans le voisinage de l’ennemi, de quitter momentanément sa capitale et de se rendre à Jehol (en Tartarie) pour les chasses d’automne. Les princes et les grands dignitaires de l’état, resteraient à Pékin pour y organiser la défense ; ils feraient venir les troupes de toutes les parties de l’empire, et, grâce à ce renfort, ils pourraient attaquer avec succès les barbares.

L’empereur ajourna l’examen des propositions du général, qu’il avait dégradé après l’affaire de Takou, mais qu’il laissait à la tête de l’armés pour qu’il eût l’occasion de se réhabiliter : c’est avec ce