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supposait plus à la retraite définitive des troupes anglaises, et déjà l’avant-garde était en route lorsque, le 6 novembre, on vit arriver à Pékin M. Bruce, désigné pour remplacer lord Elgin en qualité d’ambassadeur.

Cet incident amena un second retard et donna lieu à une nouvelle discussion entre lord Elgin et le baron Gros. Que lord Elgin profitât de sa présence à Pékin pour présenter lui-même au prince Kong l’ambassadeur qui était appelé à traiter désormais les affaires avec le gouvernement chinois, il n’y avait rien là qui ne fût très rationnel ; mais il voulait que M. Bruce établît immédiatement sa résidence dans la capitale et y dépliât son drapeau d’ambassadeur de la Grande-Bretagne. Or M. Bruce, il ne faut pas l’oublier, était le ministre anglais qui, repoussé à Takou en 1858, avait envoyé l’ultimatum de mars 1859 ; c’était lui qui, aux yeux du gouvernement chinois, avait commencé la guerre ; c’était lui que les mandarins de Shang-haï avaient, dans toutes leurs correspondances, signalé comme un ennemi acharné de l’empire. N’était-ce pas assez de lui conserver, avec le titre d’ambassadeur, les fonctions de représentant de l’Angleterre en Chine, et fallait-il encore infliger aux Chinois le désagrément de le voir s’installer tout de suite dans Pékin comme dans une ville prise d’assaut ? Pourquoi ne pas attendre que l’empereur fût de retour, que les passions se fussent apaisées, que la situation de Pékin, si profondément troublée pendant ces deux derniers mois, fût redevenue calme ? Il serait temps alors de procéder à l’installation des ambassadeurs. Dans les conditions présentes, il importait essentiellement de ménager la transition, ne fût-ce que pour ne pas ébranler l’influence du prince Kong, et il y avait même quelque imprudence à exposer les ministres européens aux ressentimens et aux désirs de vengeance qui pouvaient, au lendemain du départ des troupes, exciter quelques fanatiques. Ces considérations, habilement développées par le baron Gros dans une dépêche du 7 octobre, furent accueillies par lord Elgin. Il fut décidé que M. Bruce et le ministre de France, M. de Bourboulon, passeraient l’hiver à Tien-tsin, d’où ils correspondraient sans intermédiaires avec le gouvernement chinois. Au mois d’avril seulement, ils devaient venir résider dans la capitale, où lord Elgin se contenta de laisser pour le moment un simple agent consulaire. A la suite de cet incident, qui n’était pas sans importance et qui avait fourni au baron Gros une nouvelle occasion de faire entendre ses conseils de modération, les deux ambassadeurs quittèrent Pékin le 9 novembre, s’arrêtèrent quelques jours à tien-tsin, et de là revinrent en Europe. Les généraux prirent leurs dispositions pour l’établissement des garnisons à Tien-tsin et sur les autres points qui