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contre d’armées tartares formidables, au moins par le nombre, à la conquête d’une capitale que l’on devait s’attendre à voir défendre avec l’acharnement du fanatisme. Ce n’était pas tout que de battre les Chinois : le général en chef avait à s’inquiéter, plus qu’il ne l’eût fait ailleurs, de ses communications avec le littoral, des campemens, des approvisionnemens, des munitions et du temps. Enfin, sans compter les discussions inséparables de l’action commune avec une armée alliée, il se voyait parfois enchaîné par l’œuvre diplomatique au moment même où la raison militaire conseillait et commandait d’agir. Toutes ces difficultés, sans en excepter aucune, se sont rencontrées dans le cours de la campagne, et cependant le terme assigné au succès était fatalement marqué par l’approche de l’hiver : il était indispensable que tout fût achevé en deux mois ; autrement tout était à recommencer, peut-être même tout était perdu. Voilà ce qu’attestent les nombreux documens que nous nous sommes fait un devoir de compulser avant d’entreprendre ce récit. Ce n’est donc point seulement l’heureuse fortune de nos armes, ce n’est point l’infériorité militaire des Chinois qui a ouvert à notre drapeau les portes de Pékin : le succès est dû incontestablement à l’esprit de décision, à la prévoyance, à l’habileté du général en chef, secondé, partout où cela était possible, par le concours dévoué de l’escadre.

Quant à l’action diplomatique, nous nous sommes appliqué à la suivre pas à pas, tenant d’une main le livre bleu où ont été réunies, à l’usage du parlement anglais, les dépêches de lord Elgin, et de l’autre le livre jaune du baron Gros. Elle a abouti aux traités de Pékin ; mais on a vu comment l’entente, si cordiale au début, entre les deux ambassadeurs s’est presque rompue dans les derniers jours. Cette rupture, ou tout au moins ce grave dissentiment, accuse l’existence de deux systèmes tout à fait opposés pour l’établissement de nos rapports avec le gouvernement du Céleste-Empire. Doit-on, selon le système que paraissait vouloir adopter lord Elgin, et que l’on pourrait appeler le système anglais, doit-on aborder le gouvernement chinois avec le ton arrogant, lui arracher les concessions par la menace, faire violence à ses préjugés au nom de la civilisation, et lui enseigner à coups de canon notre droit des gens ? Vaut-il mieux au contraire le traiter avec quelques égards, tenir compte de ses traditions, ne pas exiger de lui des concessions qui lui paraissent humiliantes, et attendre que, par le développement des relations pacifiques du commerce, il se convertisse peu à peu aux lois et aux pratiques de notre civilisation ? Ces deux systèmes s’étaient déjà trouvés en présence, avec lord Elgin et le baron Gros, lors des négociations de 1858 à Tien-tsin ; ils se sont heurtés de