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M. de Lavalette aux préfets ont confirmé cette assurance. Si l’on avait à interpréter l’habile circulaire du ministre de l’intérieur, il semblerait que le gouvernement se proposait avant tout, dans cette épreuve des élections municipales, d’étudier le courant de l’opinion, de consulter l’esprit public, de tâter en un mot le pays. On dirait que c’est dans cette pensée qu’on a voulu essayer de laisser aller un peu les choses et de rendre un peu la main au corps électoral. On avait renoncé à heurter de front l’opposition ; on est allé plus loin, on a placé des noms de l’opposition sur certaines listes administratives. N’était-ce pas se montrer prêt à faire les concessions nécessaires ? Telle a été, en apparence du moins, la politique du gouvernement, et cette politique, si en effet nous devinons juste, serait fort raisonnable. Pour un pouvoir qui tiendrait à conserver le mérite et la force de l’initiative, et qui en même temps voudrait gouverner avec l’opinion publique, des élections municipales générales seraient une occasion bien choisie de pressentir les directions futures de l’opinion, afin de les devancer et de s’y conformer sans avoir l’air de les subir. Au surplus, que le gouvernement ait pensé ou non comme nous le supposons, l’intérêt de la situation présente est le même pour lui comme pour nous. Les élections donnent au gouvernement des avertissemens et des enseignemens qui n’ont point pour lui le caractère irritant et blessant d’une leçon infligée par une élection générale du corps législatif, et auxquels par conséquent il peut céder sans humiliation, sans dépit, de bonne grâce.

Déjà, depuis les élections de 1863, le gouvernement a pu s’apercevoir que la réaction qui a produit les événemens de 1851 est arrivée en France à son terme. Les élections municipales de 1865 confirment ce fait et l’élèvent au-dessus de toute contestation. Ce n’est plus la liberté qui excite les défiances du pays ; ce n’est plus aux inspirations et à la conduite exclusive du pouvoir que le pays demande son salut ou sa sécurité. L’ère est close des sauveurs de société et des dictatures aveuglément acceptées. Le pays veut être gouverné dans les conditions des sociétés modernes, c’est-à-dire qu’il veut se gouverner lui-même. Ce qui domine dans les élections municipales qui viennent d’avoir lieu parmi ces populations actives et intelligentes de Marseille, de Toulouse, d’Avignon, de Bordeaux, de Nantes, etc., c’est le sentiment que les actes de l’administration à tous les degrés de la hiérarchie doivent être sérieusement et vivement contrôlés. Paris, Lyon, s’ils possédaient leurs libertés municipales, auraient rendu avec plus d’éclat encore le même verdict. Ce pays commence à être fatigué de n’avoir plus une vie politique suffisante. Il est las de recevoir passivement l’impulsion politique d’en haut ; il veut la trouver en lui-même. La politique dépensière des administrations municipales l’inquiète et le vexe, et il croit que, s’il s’occupait plus attentivement de ses affaires, il ne serait point exposé à subir les conséquences d’aventures comme celle du Mexique. Tel est le mouvement sérieux qui est commencé en France.