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les temps lui seront toujours reconnaissans de leur avoir rendu sous une forme si claire, si aisée et en même temps si solide, les impressions qu’ils ont eux-mêmes ressenties dans l’intimité du grand orateur et du grand épistolaire. Chose étrange ! la vie et la renommée de Cicéron sont encore un sujet de controverse parmi les hommes politiques. Cicéron rencontre toujours de disgracieux contempteurs et de chaleureux amis. Nous nous défions, quant à nous, de ceux qui disent du mal de Cicéron. Les politiques à vues étroites et grossières lui en veulent parce qu’il n’a point été du parti du succès. La belle raison ! Il fallait donc que Cicéron fût César, car il ne pouvait être son lieutenant : c’était bon pour son frère Quintus. Mais si Cicéron a été du nombre des vaincus, il ne s’était point fait illusion sur l’avenir de sa cause. Il est le plus grand peut-être parmi les natures d’élite qui deviennent hésitantes au moment d’agir, parce que leur intelligence voit à la fois trop de choses et d’aspects divers, et parce que leur conscience est sensible à d’honorables scrupules. Doué comme il l’était, il ne pouvait pas chercher sa gloire dans l’action, et le succès ne pouvait être pour lui la condition déterminante de la convenance et de l’honnêteté. Quel lustre il a d’ailleurs jeté sur la fin du parti constitutionnel à Rome ! Comme ses œuvres, sa destinée, son nom, font corps avec la grandeur romaine ! César, le seul grand homme de notre connaissance qui ait eu du goût, écrivait que Cicéron avait bien mérité de la dignité du peuple romain en introduisant le nombre dans la langue. Cicéron était trop homme de lettres pour n’être point sensible à ce compliment ; mais il a fait heureusement plus que cela pour Rome : il a été le plus humain des Romains dans le sens moderne du mot ; sans lui, et il faut ajouter aussi sans Virgile, nous n’aurions peut-être rien à aimer dans l’antiquité latine. Nous faisons donc des vœux pour qu’il y ait toujours non-seulement au sens littéraire, mais au sens politique, des cicéroniens dans le monde, dussent-ils se tromper quelquefois et dépenser leur courage à combattre la brutalité d’Antoine quand il s’agirait au contraire de se défier de la froide astuce d’Octave. Le meilleur éloge que nous puissions faire du livre de M. Boissier, c’est de dire qu’il augmentera infailliblement le nombre des amis de Cicéron.

Le vieil orateur romain vient de porter bonheur à un confrère de M. Boissier en littérature cicéronienne. Notre collaborateur cite dans son livre un écrivain anglais, M. Forsyth, qui a publié récemment une vie de Cicéron. M. Forsyth vient d’être envoyé au parlement par Cambridge. La grande épreuve des élections anglaises est terminée. L’incident le plus dramatique de la lutte électorale a été sans contredit l’échec de M. Gladstone à l’université d’Oxford et sa nomination dans le Lancashire. La défaite de M. Gladstone à Oxford a été un événement. On n’a pas vu sans regret la vieille université se séparer de l’homme d’état éminent qui l’avait représentée depuis dix-huit ans. M. Gladstone est, parmi les contempo-