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de canons d’une puissance inconnue pour nous, ou de se lancer à travers un chenal dans lequel des torpilles invisibles pouvaient éclater à chaque pas. Est-il besoin d’ajouter que rien n’est plus effrayant au monde que ce danger, impossible à prévoir, dont on est menacé à tout instant, comme l’est une colonne d’assaut par la mine cachée sous ses pieds ? Forcer des passes, attaquer des batteries et des forts où la science des ingénieurs et l’esprit inventif des artilleurs avaient épuisé toutes leurs ressources, a été maintes fois un jeu pour les marins américains. On savait d’avance, on voyait à quels dangers on s’exposait ; mais les obstructions sous-marines ont souvent arrêté les plus braves. En relisant les rapports des officiers fédéraux, je vois dix navires de guerre, sans compter de nombreux transports à vapeur, détruits par des torpilles. Sur ce nombre de dix, neuf ont péri par des torpilles fixes au-dessus desquelles ils passaient. Le dixième est la corvette de guerre Housatonic, qu’un bateau torpille semblable à celui du lieutenant Cushing est allé chercher et détruire en pleine mer. Nous en dirons un mot tout à l’heure.

En général, ces torpilles se composaient d’une caisse en métal léger, qui recevait une charge variant de 100 à 2,000 livres (un tonneau) de poudre ; retenues au fond par une corde attachée à un poids quelconque, elles flottaient à quelques pieds au-dessous de la surface. L’explosion était déterminée par des moyens très divers : par le choc qui amenait la rupture d’un tube et l’épanchement d’un liquide produisant une inflammation chimique, par une détente que le choc ou une corde faisait partir, par un fil électrique enfin qui communiquait avec la terre, et auquel un observateur caché donnait l’étincelle à l’instant où le navire se trouvait dans un certain alignement. Les ruses de guerre dont on a fait usage dans l’emploi des torpilles se sont multipliées à l’infini. Une des meilleures a été pratiquée sur une flottille qui remontait le Yazoo-River pour coopérer avec l’armée de Sherman. A un coude de la rivière, les marins fédéraux aperçurent une ligne de bouées douteuses, qui montraient leurs têtes au-dessus de l’eau. On s’empressa de stopper afin d’envoyer quelques coups de canon contre elles, les défoncer ou les mettre en dérive ; mais pendant que l’on se préparait à cette opération et que les navires allaient de ci et de là sans avancer, on voit tout à coup le cuirassé Cairo, qui faisait partie de l’expédition, s’enfoncer dans les eaux et disparaître. Les bouées n’étaient qu’un épouvantail destiné à retenir les fédéraux là où se trouvaient placées les vraies torpilles et donner le temps de les faire éclater à ceux qui étaient chargés de ce soin.

Les confédérés essayèrent souvent aussi d’aller détruire à l’aide des torpilles les grands navires de guerre qui portaient le pavillon des