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tout règlement embarrassant, libre de ses mouvemens, stimulée par la concurrence, elle doit, ce semble, trouver toute espèce d’avantages au nouveau système ; mais, en y regardant de plus près, ces avantages si séduisans n’pparaissent que dans un avenir lointain et problématique, tandis que les inconvéniens sont immédiats et d’une manifeste gravité. Si, dans l’espoir d’atteindre ces avantages coûteux qu’on nous montre à l’horizon et qui doivent compenser toutes nos pertes, nous continuons à sacrifier ce que nous tenons dans le présent de réel et de positif, nous pourrions bien aboutir à l’entier sacrifice de notre puissance navale, résultat devant lequel reculeraient sans doute les plus hardis de nos expérimentateurs. Le pays, son service, sa force, sa grandeur, doivent passer avant tous les principes économiques. Quand ces principes, ce qui est loin d’être, auraient acquis pour tous les temps et pour tous les lieux l’incontestable évidence des axiomes, ils ne sont pas de ceux auxquels un peuple doit immoler ce qui le maintient à son rang parmi les nations. Or, s’il est vrai que nos forces navales, nécessaires élémens de notre puissance et de notre sûreté, même en Europe, soient de si près solidaires de notre marine marchande, il ne faut pas considérer celle-ci comme une industrie de médiocre importance, qui puisse sans danger céder la place à telle autre industrie soi-disant plus profitable ; il faut, d’un point de vue plus élevé, l’envisager comme une partie vitale de l’organisation de notre pays, comme une condition essentielle de notre existence nationale. il n’y a plus dès lors matière à expérience, quand surtout les faits n’ont nulle part encore donné pleinement raison au système.

Qu’est-ce en effet que l’industrie maritime, et quel doit être le résultat pour nous de la libre concurrence en matière de navigation ? L’industrie maritime est un service de transports, transports d’hommes et de choses. Les navires vont et viennent avec un chargement, avec des passagers, et c’est le port de ces passagers, de ces marchandises, qui fait le bénéfice de l’armateur. Il en est absolument d’un navire comme d’un chemin de fer. Plus il porte de passagers et de marchandises dans un temps donné, plus ses bénéfices seront grands. Or, décréter le libre échange en marine, ce n’est ni plus ni moins qu’autoriser une ou plusieurs compagnies étrangères à établir un ou plusieurs chemins de fer à côté de celui qu’une compagnie française possède et exploite, entre Paris et le Havre par exemple. Si pour certaines, raisons la nouvelle compagnie porte les passagers et les marchandises à plus bas prix et plus vite que la compagnie française, je doute, très fort que, malgré tout notre patriotisme, celle-ci fasse ses affaires. Il en est du bâtiment