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occasionne souvent des mouvemens intérieurs, et, comme je vous le mandais il y a quelque temps, incendis per ignes suppositos cineri doloso… Pour nous, notre position politique devient meilleure. L’Angleterre est trop occupée contre les insurgens pour qu’on puisse croire qu’elle ait envie de nous faire la guerre, et la mort du roi de Portugal ; suivie de la disgrâce de M. de Pombal, fera vraisemblablement changer de système à la cour de Lisbonne ; celle de Madrid, n’entreprendra pas non plus une guerre où elle nous aurait vraisemblablement entraînés malgré nous. D’un autre côté, le voyage de l’empereur en France, qui est certain aujourd’hui, doit nous rassurer sur les projets contraires à nos intérêts qu’on lui prêtait aussi. Ce n’est pas, soit dit entre nous, que j’approuve infiniment notre alliance avec la maison d’Autriche : je pense au contraire que le cardinal de Richelieu avait grand’raison de vouloir abattre cette hydre ; mais, dans les circonstances où nous sommes, je ne voudrais pas seulement que nous eussions querelle avec la république de Raguse. Notre militaire est dans un état très fâcheux par le « mauvais succès des opérations de M. de Saint-Germain, et nos finances sont encore pis. Une guerre par là-dessus, nous serions perdus ; j’espère que Dieu nous en préservera. — Après de si grands intérêts, oserai-je vous parler des miens ? L’amitié m’y encourage. Je vous dirai donc que je continue à être assez tranquille du côté des tracasseries, mais je ne le suis que trop du côté des affaires, enrageant de tout mon cœur de l’inutilité dans laquelle on me laisse, mais prenant patience et vivant d’espoir. Adieu,, mon cher ami ; je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur. »


La situation du comte de Provence devint plus difficile encore lors de la première grossesse de la reine. Il s’en explique, avec un bon sens et une modération qu’il est juste de reconnaître, dans une nouvelle lettre à Gustave III, datée du 5 octobre 1778. De telles, ouvertures, dont la sincérité paraît incontestable, sont les meilleurs témoignages de l’intimité qui régnait dans cette correspondance :


« Vous ayez su, dit-il, le changement qui est arrivé dans ma fortune. Il n’en a produit aucun, sur mon cœur ni sur le vôtre non plus, je m’en assure. Je puis vous dire actuellement comme Zamore :

Autrefois à tes pieds j’avais mis mon empire.


Vous étiez l’ami d’un homme qui pouvait un jour vous être utile par sa puissance : je n’ai plus à vous offrir qu’un cœur tendre et fidèle ; mais c’est tout en amitié. Vous pourriez croire d’après ces paroles que je suis désolé de ce revers : je puis néanmoins vous assurer que non. J’y ai été sensible, je ne m’en cache pas ; mais la raison, peut-être un peu de philosophie et la confiance en Dieu sont venues à mon secours, m’ont soutenu et m’ont fait prendre mon parti ce qui s’appelle en grand capitaine ! Je me suis rendu maître de moi à l’extérieur fort vite, et j’ai toujours tenu la même conduite qu’avant, sans témoigner de joie, — ce qui aurait passé pour fausseté, et ce qui l’aurait été, car franchement, et vous pouvez aisément le