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II

Gustave III avait pris dès son avènement l’initiative des réformes libérales. Le lendemain même de son coup d’état, il abolissait la torture, dont la cruelle pratique avait été récemment renouvelée en Suède pendant la période d’anarchie et de déchiremens politiques à laquelle son règne avait mis fin. Il est clair que le souvenir de Calas et de Labarre dictait à Gustave cette première mesure, et il avait sans aucun doute présens à la mémoire les éloquens plaidoyers de Voltaire autant que les récens excès des factions suédoises. En tout cas, il devançait ainsi la France elle-même dans la voie des changemens nécessaires, car la question dite préparatoire, qu’on appliquait à l’accusé pour lui arracher l’aveu de son crime, ne devait être abolie chez nous qu’en 1780, et la question préalable, qui venait après la condamnation pour obtenir la révélation des complices, devait subsister jusqu’en 1789. Ce fut de Voltaire encore que Gustave III se montra l’élève quand il proclama la liberté de la presse. Le roi de Danemark, Christian VII, l’avait accordée dans ses états dès l’année 1771, et avait reçu de Ferney, à cette occasion, une épître où était à bon droit signalé le contraste de cette concession intelligente avec l’asservissement où la presse était encore retenue chez nous :

Je me jette à tes pieds au nom du genre humain,
Il parle par ma voix, il bénit ta clémence.
Tu rends ses droits à l’homme et tu permets qu’on pense.
……….
Ailleurs on a coupé les ailes à Pégase.
Dans Paris quelquefois, un commis à la phrase
Me dit : A mon bureau venez vous adresser ;
Sans l’agrément du roi vous ne pouvez penser.
Pour avoir de l’esprit, allez à la police !


L’hommage que Christian VII avait obtenu, Gustave III voulut aussi le mériter. Il renouvela, en y apportant quelques modifications, la loi suédoise de 1766, favorable en effet à la presse, et appuya cette démarche d’une déclaration quelque peu fastueuse qui figure dans le recueil de ses œuvres sous ce titre : Modeste opinion du.roi sur la liberté de la presse ; il n’omit pas surtout d’envoyer ce factum à Voltaire. Il y était dit : « La forme constitutionnelle de notre gouvernement est fondée sur la liberté de penser, de parler et d’écrire, pourvu que cette liberté ne porte pas atteinte à la tranquillité et à la dignité du royaume… Il faut que la liberté de la presse, maintenue et protégée, serve à éclairer les peuples sur leurs véritables