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montagnes ; Wener lui-même, dont le roc est le plus dur, brisera avec fureur dans le flanc de la montagne le trident destructeur que Neptune lui a prêté… Des Chalybes endurcis fouillent les veines cachées du fer ; l’air et, le feu tout-puissant le rendent liquide ; il s’échappe en mugissant des fournaises suédoises, semblable à ces torrens que Vésuve vomit de sa bouche enflammée. Paraissez, Chalybes ! venez, revêtus de cet antique habit sous lequel Gustave Vasa erra dans vos forêts… Chalybes amis des ténèbres ! demandez à la terre dans quels replis elle renferme le bronze le plus dur, celui que le temps ne dévore point ; le ciel l’a créé pour que vous en fassiez l’effigie de Gustave. Portez-le au Lysippe français[1]. Meyer, dont l’art commande à l’air et au feu, le coulera et le versera pour lui. Qu’on place entre les deux Gustave la chère effigie du troisième. — Beaux-Arts, rangez-vous autour de son trône. Si vous ne pouvez crayonner la beauté de son âme, imitez du moins la douceur de ses traits, la sérénité de son front, rendez le vif et brillant éclat de ses yeux, semblables à ceux de sa mère. — Apporte, aimable Architecture, le plan qui doit embellir Haga, retraite que Gustave s’est choisie… »


Nous n’achèverons pas la citation ; toute part faite à la boursouflure italienne et à l’abus des réminiscences classiques, ce brillant programme atteste que la Suède se ranimait après sa période de guerres civiles, et que le nouveau règne avait trouvé dans les aspirations contemporaines de quoi s’inaugurer sous d’heureux auspices. Un des premiers étrangers qui reçurent la décoration du nouvel ordre de Vasa fut naturellement le marquis de Mirabeau, l’ami des hommes, celui que Grimm appelle, à cause de ses bons dîners, l’amphitryon ou le premier maître d’hôtel de nos économistes. Il remercia le roi de Suède en fêtant le jour de sa naissance par un repas solennel auquel tous les initiés assistèrent « avec beaucoup de dévotion » ; le révérend père Le Blanc, un minime conventuel qui était fort à la mode, composa, dit la Correspondance, des cantiques pour cette cérémonie.

Mais c’est de Jean-Jacques en particulier que Gustave III fut l’écho, lorsqu’un jour il s’avisa de décréter un costume national. Arrêter les progrès du luxe et ruiner pour toujours l’empire de la mode en imposant aux divers ordres de la nation des vêtemens uniformes, à la fois gracieux et sévères, se prêtant au développement libre du corps au lieu de l’emprisonner et de l’altérer, régler tout cela de par la loi, — absolument comme, dans Salente, Idoménée, sur le conseil du trop sage Mentor, devait séparer les différentes classes de ses sujets par des vêtemens de laine que distinguaient seules des bandes de diverses couleurs : verte, rouge

  1. Le statuaire Pierre Larchevèque, élève de Bouchardon, et qui resta vingt ans — de 1755 à 1777 — au service de la Suède.