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on y attelle des chevaux : nous traversons les bas quartiers de la ville ; puis le voyageur s’endort jusqu’aux portes de Washington pour ne s’éveiller que dans la plaine aride, blanchâtre, poudreuse, uniforme, où s’alignent majestueusement les baraques misérables de la grande ville avortée.

Je vous entends déjà dire que je mène une vie bien frivole et que j’aurais dû aller voir le congrès. Je l’ai été voir ; mais ses dernières séances, consacrées à expédier les affaires, sont d’un mortel ennui. J’ai entendu le sénateur Davis, du Kentucky, vieillard plein d’énergie, qui, vaincu deux fois dans une motion sur l’esclavage, voulait, malgré l’ordre du jour, ramener la question déjà jugée. Le sénat est une assemblée grave, paisible, clair-semée, qui s’élève rarement au ton oratoire, et préfère dans la discussion quotidienne l’allure aisée d’une conversation d’affaires. Peu de solennité et nulle prétention : le président siège en veste grise ; une douzaine d’enfans servent d’huissiers. Au côté droit, les fauteuils vides des sénateurs du sud semblent attendre que leurs titulaires les reprennent.

Quant à la chambre des représentans, nous n’avons pas l’idée d’une pareille réunion. C’est bien là une assemblée démocratique, peu soucieuse du cérémonial, dédaigneuse de l’étiquette. Pas de cravates, pas de gilets, des figures vulgaires, incultes, des cris violens, des gestes désordonnés ; on dirait les successeurs des clubistes de la révolution plutôt que les héritiers de ces graves personnages dont les portraits décorent le Capitole. Cependant au milieu de ce tumulte la voix du speaker retentit nette et forte ; les affaires se discutent, se votent, et la chambre a même la patience d’écouter l’apostrophe injurieuse de deux forcenés copperheads qui viennent, avec force éclats de voix et imprécations démagogiques, glorifier l’esclavage et la sécession. Voilà peut-être la centième motion qu’ils font pour la paix et le deux-centième discours qu’ils fulminent. Nous ne sommes pas habitués à cette tolérance d’une majorité qui, pour imposer silence à la minorité, n’aurait qu’à le vouloir ; mais ces actes d’autorité sont la ressource des assemblées peureuses qui craignent la vérité. Ici la chambre laisse les orateurs véhémens de l’opposition déclamer tout à leur aise ; mais quand à bout d’haleine et d’éloquence ils ont repris leur place, personne ne se lève pour leur répliquer, et l’assemblée reprend avec sang-froid le cours des discussions interrompues, leur faisant par son silence même la plus méprisante réponse. Elle est du reste habituée à ces liqueurs fortes, qui ne font pas plus d’effet sur elle que de l’eau tiède.

La question financière préoccupe tous les esprits. Le papier-monnaie, avec lequel le gouvernement fédéral pourvoit depuis trois