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pas d’autre que l’honnêteté. Il annonce l’intention de recourir aux emprunts et aux taxes plutôt qu’au papier-monnaie. Si l’on sait s’arrêter, je ne crois pas que le peuple abandonne le papier-monnaie. La banqueroute porterait plutôt sur la dette et sur une réduction du remboursement promis. Songez que le nouvel emprunt récemment voté de 100 millions de dollars se négocierait à 30 pour 100 au cours actuel de l’or ; mais le papier lui-même peut chavirer dans une panique, et rien alors ne le remettrait à flot. Le jour où la crise l’aurait jeté dans les mains du petit nombre, le peuple ne songerait plus qu’à s’en défaire, et l’Amérique offrirait doublement au monde le spectacle de la « hideuse banqueroute. »

Quand je vous disais qu’on la voyait venir sans crainte, et que les ressources étaient assez grandes pour que la richesse privée pût braver la ruine publique, j’exagérais l’invulnérabilité financière de ce grand pays. J’entends parler de misères que je n’avais pas soupçonnées sous leur apparence de prospérité. Sans parler des fortunes que la guerre civile a directement atteintes, il y a des familles dont l’épargne est anéantie. La richesse commerciale est gravement ébranlée : elle tomberait dès la première secousse ; mais il restera toujours des fondations, des matériaux préparés, et surtout un ouvrier fort, ingénieux, persévérant, qui ne se laisse pas décourager. L’agriculture demeurera florissante, l’industrie active, la vie abondante et facile pour le travailleur. Quant au capital englouti dans le désastre des grandes maisons commerciales, l’Amérique, pour en tenir lieu, demanderait une nouvelle mise de fonds. à l’Europe. Une terre fertile ne devient pas inculte parce qu’un orage ou un incendie a détruit une récolte, brûlé une maison de ferme. L’Amérique a ceci de remarquable, que son avenir matériel ne dépend pas des hommes et qu’elle puise en elle-même sa prospérité. Elle peut changer de mains, changer d’institutions, se morceler en plusieurs peuples, cesser d’être le grand et heureux pays qui s’offre en exemple au monde ; ce sera toujours une terre qui appellera les hommes, et qui aura pour elle l’avenir.

7 juillet.

J’ai vu le grand asile municipal de l’île Randall, où la ville élève gratuitement huit cents enfans pauvres ou abandonnés, puis les prisons, les hôpitaux, la maison de refuge. Mon guide était M. Isaac Bell, le secrétaire et le membre le plus actif du comité directeur. Un bateau à vapeur attaché à l’établissement nous attendait aux environs de la 30e rue. Nous y montâmes, M. Bell, quelques religieuses françaises bien reconnaissables sous leurs habits de ville, moi-même enfin, et derrière nous, à distance respectueuse, une foule