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crispée. Quelle vie que celle des malheureuses qui leur servent de mères ! quels regards tristes ! quels visages abattus ! L’intérêt n’explique pas cette abnégation. On ne saurait voir figures plus douces, plus honnêtes, sollicitude plus attentive et plus simple, enfin plus grand amour de l’ordre et de la propreté que chez ces teachers, ces nurses, qui pourtant font profit de leur métier. L’éducation est ici pour beaucoup de femmes sans famille à la fois une ressource honnête et un apostolat. Les directeurs ne font entre elles aucune « distinction de croyance ; les ministres de tous les cultes trouvent la porte ouverte à toute heure ; ils célèbrent tour à tour leur service devant leurs fidèles. Si un abus se produit, l’administration ne prend parti pour personne : elle renvoie la plainte au supérieur du coupable, et ne demande que ce qu’elle donne à tous, l’ordre et la tolérance.

Les enfans de l’île sont au nombre d’environ huit cents. Tous sont admis ; mais on se montre sévère pour les parens qui les réclament : on exige des preuves de leurs ressources et des témoignages de leur moralité. Trois mois, c’est le temps le plus court que les enfans puissent passer dans l’asile. On n’a pas voulu qu’il fût une hôtellerie gratuite où les parens les déposassent pour un jour. La plupart du reste n’ont pas de famille et sont vraiment les enfans de la ville. On en envoie chaque année un grand nombre en apprentissage chez des artisans ou en service chez des fermiers. Les parens adoptifs viennent les choisir eux-mêmes, et, pour ne laisser aucun prétexte aux mauvais traitemens, la maison leur offre de les reprendre dès qu’ils n’en voudront plus ; elle exige même qu’ils lui soient rendus si le maître ne tient pas ses engagemens. Beaucoup de ces abandonnés font fortune. On me racontait l’histoire touchante d’un ancien enfant de l’île qui, adopté par un fermier de l’ouest, avait épousé la fille de son maître, et demandait à son tour à s’y choisir un fils.

Je ne vous parle pas de la maison des fous, située en face de l’asile, sur l’île Blackwell, ni du workhouse ou maison de refuge pour les vieillards et les infirmes, entourée de vastes jardins où ces bonnes gens occupent leur oisiveté par l’apparence d’un travail inutile, ni de la prison des femmes, qu’on emploie à fabriquer des cigares, ni enfin des prisonniers, voleurs, faussaires et autres condamnés de la justice du comté que je vis revenir du travail et se jeter sur leur repas du soir comme une bande de loups faméliques, puis rentrer dans leurs donjons fortifiés à double enceinte, derrière des grilles de fer. Depuis la guerre, on fait remise d’une partie de leur peine aux bons sujets qui s’enrôlent pour trois ans dans l’armée.