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raient de consentir au démembrement de son pays. Il faut dire qu’il s’est exprimé avec une réserve qui ressemble à de l’indécision. Dans ce pays où l’on parle si haut et si fort, il semble avoir pris à tâche d’envelopper d’ornemens littéraires une pensée fort ambiguë. Il fait plutôt la critique du passé que le plan de l’avenir, et l’on ne sait en définitive s’il veut la paix ou la guerre. Ce n’est pas là le langage d’un chef de parti, qui doit avant tout formuler nettement son programme, et de qui l’on exige bien moins des vues impartiales qu’une politique positive. Du reste, le « jeune général » parait être singulièrement délaissé de la faveur populaire, et sa fortune a déjà bien pâli depuis le temps où on l’appelait « le Napoléon de l’Amérique. » On lui conteste à présent jusqu’à ses talens militaires, tant l’Amérique est le pays des étoiles filantes et des brillans météores soudainement éclipsés !

Je ne crois pas au succès des démocrates ; leurs manœuvres occultes ne peuvent que leur nuire. Le pouvoir, dans un pays libre, n’est pas le prix des conspirations : on y arrive tête haute et visière levée. C’est donc le président Abraham Lincoln qui sera réélu. Quand un peuplé a déjà dépensé 10 milliards et 500,000 hommes, il n’est pas naturel qu’il abandonne la partie à l’heure où elle va devenir décisive et le payer de ses sacrifices. Les Américains ont trop de bon sens pour ne pas comprendre que la crise présidentielle est par elle-même un assez grand trouble, et que tout changement les affaiblirait. N’eussent-ils pour président qu’un soliveau, le plus sage serait de le garder jusqu’au bout de la guerre et de s’en remettre à ses ministres ; mais M. Lincoln a su remplir quatre ans avec dignité la tâche difficile du gouvernement, il appartient à ce parti de l’abolition modérée qui est le plus en faveur, il représente mieux que personne la politique de la guerre et le principe de l’Union. Peu importe aux Américains le ridicule injuste qu’on s’est plu à jeter sur celui qui les représente devant les nations du monde. Ils choisiront l’homme le plus capable, ou de poursuivre l’œuvre commencée, ou d’y renoncer honorablement, si elle échoue.

15 juillet.

Les rebelles, dont on avait fort exagéré le nombre, ont enfin quitté le Maryland après une attaque simulée sur Washington ; on s’est mis à leur poursuite. Ils se retirent avec un ample butin de chevaux, de bétail et de vivres. En définitive, ils ont réussi ; ils sont venus, en maraudeurs et s’en retournent en conquérans. Les journaux d’ici chantent victoire : ils sont contens à bon marché.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.