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travaux de la paix devaient succéder pour longtemps aux entreprises guerrières, le chef de la légation russe auprès de la cour de Dresde fit proposer à M. Tischendorf une troisième expédition scientifique en Palestine au nom et aux frais du tsar Alexandre II. L’offre venait du ministre de l’instruction publique de Russie, M. le comte de Norof, connu dans le monde des lettres par ses voyages en Orient et sa solide érudition. Le tsar lui-même s’intéressait vivement à cette affaire ; la tsarine, née princesse de Hesse, la tsarine-douairière, sœur des deux rois de Prusse Frédéric-Guillaume IV et Guillaume Ier, y mettaient de leur côté une sorte d’enthousiasme patriotique et religieux. Elles aimaient à montrer à la Russie que l’Allemagne de Hegel et de Strauss n’était pas toujours un foyer de critique destructive ; qui donc avait déployé plus de zèle et de savoir que M. Tischendorf pour établir l’authenticité des textes sur lesquels repose la foi des premiers siècles chrétiens, la foi commune à toutes les divisions de l’église universelle, mais que l’église orthodoxe revendique au nom de la langue grecque comme un trésor dont le dépôt lui est confié ?

On retrouve ici l’exaltation politique et religieuse qui est un des caractères de l’esprit moscovite. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié sans doute les ardentes paroles d’un diplomate russe sur le rôle que les luttes de la papauté romaine et de la révolution réservent dans l’avenir à l’église orthodoxe. « Huit siècles, s’écrie-t-il, seront bientôt révolus depuis le jour où Rome a brisé le dernier lien qui la rattachait à la tradition orthodoxe de l’église universelle. Ce jour-là, Rome, en se faisant une destinée à part, a décidé pour des siècles de celle de l’Occident. » Et comme il triomphe en montrant que cette destinée touche à son terme, que Rome, en constituant la. papauté temporelle, offrait d’avance une prise terrible à la révolution inévitable, que cette révolution est venue, que la lutte est engagée, et qu’il est aussi impossible à la papauté de vaincre la révolution qu’à la révolution de sauver le genre humain ! Quel est donc le refuge, à l’en croire ? L’église orthodoxe, gardienne de la foi primitive et appelée à reconstituer un jour L’unité du monde chrétien. Là-dessus, rappelant une visite faite à Rome en 1846 par l’empereur de Russie, il ajoute : « On s’y souviendra peut-être encore de l’émotion générale qui l’accueillit à son apparition dans l’église de Saint-Pierre, — l’apparition de l’empereur orthodoxe revenu à Rome après plusieurs siècles d’absence ! — et du mouvement électrique qui parcourut la foule quand elle le vit aller prier au tombeau des apôtres. Cette émotion était légitime. L’empereur prosterné n’était pas seul ; toute la Russie était prosternée avec lui. Espérons qu’elle n’aura pas prié en vain devant les saintes re-