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Ces instances flatteuses échouèrent aussi bien que les plus magnifiques promesses, et d’Alembert refusa de quitter ses amis. Il resta à Paris, membre le plus influent de l’Académie des Sciences et secrétaire perpétuel de l’Académie française. La meilleure partie de son temps et de son application était employée à la composition des discours, constamment applaudis, qu’il lisait presque régulièrement aux séances solennelles des deux académies. Remarquables par l’ordre, la netteté et la précision, ces discours sont faits de main de géomètre, et l’on s’en aperçoit peut-être un peu trop. Les succès qu’ils lui valurent furent une des joies de sa vie, et pourtant, presque oubliés aujourd’hui, ils ne contribuent que pour une bien faible part à la gloire de d’Alembert. « Vous êtes, lui écrivait cependant Voltaire à l’occasion d’une de ces lectures, le seul écrivain qui n’aille jamais ni en-deçà ni en-delà de ce qu’il veut dire. Je vous regarde comme le premier écrivain du siècle. »

Malgré ses occupations littéraires, d’Alembert ne cessa jamais d’accorder une grande place dans ses travaux à la haute géométrie. Également attiré par la recherche des vérités utiles et par le plaisir de vaincre les difficultés de la science, il publia, de 1761 à 1782, huit volumes d’opuscules mathématiques, contenant de nombreux mémoires relatifs aux sujets les plus élevés et les plus difficiles de la mécanique céleste, de l’analyse pure et de la physique. La division des forces de d’Alembert ne semble pas les avoir affaiblies, et ces écrits suffiraient pour placer l’auteur au nombre des grands géomètres. Il serait malaisé d’en faire ici le dénombrement. Parmi les questions traitées par d’Alembert, il en est une cependant sur laquelle il est revenu à plusieurs reprises, après en avoir fait le sujet de l’une de ces lectures écoutées avec tant d’empressement par les gens du monde.

Malgré les travaux de Pascal, d’Huyghens et de Jacques Bernouilli, d’Alembert refuse d’accepter leurs principes sur la théorie des chances, et de voir dans le calcul des probabilités une branche légitime des mathématiques. Le problème qui fut le point de départ de ses doutes et l’occasion de ses critiques est resté célèbre dans l’histoire de la science sous le nom de « problème de Saint-Pétersbourg. » On suppose qu’un joueur, Pierre, jette une pièce en l’air autant de fois qu’il faut pour amener face. Le jeu s’arrête alors, et il paie à son adversaire, Paul, un franc s’il a suffi de jeter la pièce une fois, deux francs s’il a fallu la jeter deux fois, quatre francs s’il y a eu trois coups, puis huit francs, et ainsi de suite en doublant la somme chaque fois que l’arrivée de face est retardée d’un coup. On demande combien Paul doit payer équitablement en échange d’un tel engagement ?