Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/1049

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prend des noms supposés ; les enrôlemens sont secrets. Aux États-Unis, ce n’est plus une conspiration, c’est une agitation en pleine lumière. Puis, des deux côtés de l’Atlantique, ces conspirateurs, qui découvrent là ce qu’ils cachent ici, se figurent qu’avec quelques milliers d’hommes et quelques milliers de livres sterling ils pourront, au nom de l’Irlande, faire la guerre à l’Angleterre. On est confondu d’une pareille stupidité. Il plane aussi sur cet égarement d’un patriotisme inculte et d’une inquiétude ignorante on ne sait quelles vapeurs légendaires. Ce sont des traditions ossianiques, des poésies de race qui ont ouvert les oreilles et le cœur de tous ces pauvres Irlandais aux excitations des meneurs fenians. Ces Irlandais continuent à s’appeler des Celtes ; on dirait qu’ils n’ont point la mesure des temps écoulés ; ils croient presque vivre à l’époque où la conquête saxonne brisa les résistances celtiques. Il y eut alors des héros celtes du nom de fenïon, qui étaient païens et qui résistaient avec la même énergie aux prêtres chrétiens et aux Saxons. Mille contes sont bâtis sur ces brumeux souvenirs historiques, et les fenians d’aujourd’hui, qui en ont été bercés dans leur enfance, se glorifient d’être des païens, pagans, et ne sont point étonnés d’être conviés à détester les prêtres autant que les Anglais. Quelques-uns des obscurs meneurs de cette conspiration ont écarté la sympathie qui aurait pu s’attacher encore à leur erreur par de sauvages doctrines qui ne sont que de tristes plagiats. Un de ces chefs, dans une lettre, interceptée, révélait sa pensée : « Il faut détruire la religion et l’aristocratie ; il faut imiter la révolution française. Voltaire avait détruit les préjugés ; les sans-culottes ont supprimé les aristocrates. » Le Voltaire fenian est resté inconnu, et grâce à Dieu les sans-culottes fenians se sont trompés eux-mêmes s’ils ont cru qu’ils pourraient atteindre à l’horrible énergie de nos septembriseurs. En vérité, cette démence enfantine désarme la colère, et nous ne doutons point que les Anglais, une fois la conspiration réprimée, ne prennent en considération l’incroyable état moral dans lequel, on vient de le voir sous la morne lueur de cet éclair, les populations inférieures de l’Irlande demeurent plongées. Les mesures de répression prises par le gouvernement anglais contre le fenianisme étaient connues aux États-Unis au départ du dernier paquebot arrivé en Europe. Les principaux journaux de New-York n’hésitent point à traiter comme une extravagance cet effort bizarre de la plèbe irlandaise.

L’Italie désormais attire l’attention particulière des observateurs. On touche là à d’importantes échéances politiques. Voici d’abord les élections générales qui auront lieu dans quelques jours. Le résultat des élections peut être envisagé à deux points de vue. Comme tendance générale, il n’y a pas le moindre doute que l’immense majorité de l’assemblée nouvelle appartiendra aux opinions modérées, dociles dans les questions décisives aux inspirations de la politique habile et prudente ; mais, au point de vue des combinaisons ministérielles possibles, comment se grouperont les diverses fractions du parti modéré ? C’est ce qu’il est absolument impossible