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application très étendue, et se reproduisent sur tous les alcools. En effet, lorsqu’on a composé un corps au moyen d’un alcool déterminé suivant une méthode régulière, il suffit le plus souvent d’appliquer la même méthode à chacun des autres alcools pour composer toute une série de corps formés suivant les mêmes procédés et susceptibles de jouer le même rôle chimique.

Sans doute ce n’est là encore qu’un bien petit coin du vaste champ à défricher, et nous n’avons guère fait que les premières stations d’une route dont la longueur ne saurait être mesurée ; mais les principes à l’aide desquels on accomplira de nouveaux progrès sont déjà posés. Quelques-uns des éthers qui constituent une des classes de des innombrables dérivés alcooliques ont été recréés de toutes pièces ! C’est ainsi que M. Berthelot est parvenu à fabriquer l’essence de moutarde, qui n’est en réalité qu’un éther, baptisé par les chimistes du nom un peu barbare d’éther, allylsulfocyanique. Pour cela, il traite l’éther dit allyliodhydrique, dont la synthèse est également possible par le sulfocyanate de potasse.

La synthèse des corps gras naturels, réalisée encore par M. Berthelot, nous offre une application plus étendue des mêmes idées. Elle donne son fondement à la théorie générale des alcools polyatomiques, théorie découverte également par lui, et à l’aide de laquelle cet éminent expérimentateur fait rentrer dans le cadre scientifique de la chimie les corps gras neutres et les sucres demeurés jusque-là en dehors, de toute falsification. C’est cette même théorie qui a servi depuis de guide à M. Adolphe Würtz dans ses remarquables travaux sur les glycols, qui lui ont valu récemment le prix biennal de l’Institut.

La théorie formulée par M. Berthelot, en confirmant la génération des carbures d’hydrogène établie par l’expérience, nous fournit la preuve qu’elle est un guide sûr dans ce genre de recherches ; elle nous montre que tous les carbures d’hydrogène peuvent être engendrés à l’aide du formène ; autrement dit, tous ces carbures ne sont que du formène plus ou moins condensé. Chez certains carbures qu’on peut qualifier de complets, l’hydrogène éliminé est remplacé par un volume égal de formène ; chez d’autres, qu’on peut appeler incomplets, le volume d’hydrogène éliminé est double, triple, etc., du volume de formène fixé. M. Berthelot fait ainsi voir que le formène, c’est-à-dire un corps comprenant deux équivalens de carbone et quatre d’hydrogène, est le type générateur des carbures. Il y a de même pour les alcools, pour les acides, pour les aldéhydes, pour les éthers, pour les alcalis, pour les amides, etc., de véritables types formateurs qui peuvent être engendrés théoriquement et expérimentalement au moyen des carbures d’hydrogène, c’est-à-dire en définitive au moyen du formène.