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multiplier les nuances, à créer des fractions nouvelles. Le ministère du marquis de Miraflorès, qui fait des élections et qui, par une circulaire maladroite, provoque l’abstention des progressistes, dure dix mois ; le ministère de M. Arrazola, qui prend le nom pompeux de cabinet du parti modéré historique, dure quelques jours ; le ministère de M. Mon, qui se compose d’élémens semi(libéraux, semi-conservateurs, qui revient au système de fusion représenté par le général O’Donnell, ce ministère a une existence de six mois. Au fond, ce sont moins des cabinets aux couleurs tranchées, à la politique caractérisée, que des pouvoirs de transition, des relais ministériels entre l’ancienne union libérale, ce qu’on appelle déjà l’union libérale historique, et un retour du duc de Tetuan ou une combinaison, modérée plus forte et plus efficace. Voilà le mot de la situation de l’Espagne durant ces deux années.

Et par le fait les choses se trouvent lancées sur une telle pente que les difficultés anciennes s’aggravent, que des difficultés nouvelles s’élèvent, que partout, se manifeste une tension croissante. — Un jour, c’est l’abstention des progressistes qui est maladroitement provoquée et qui laisse un vide inquiétant dans le mouvement régulier des partis ; un autre jour, c’est un symptôme de sédition militaire qu’on croit saisir, et on exile des généraux, on met en jugement des sous-officiers qui sont acquittés. Une nouvelle loi sur la presse, censée plus libérale, est à peine promulguée que, par une interprétation des plus étranges, on en vient à traduire les journaux devant des conseils de guerre. L’adoucissement pour les journaux consiste à passer sous la loi martiale ! La question de la rentrée de la reine Christine en Espagne se réveille tout à coup, et ce qui était tout simple, ce qui ne pouvait avoir nulle importance avec un gouvernement sérieux, devient une grosse affaire d’état qui ravive les divisions. Avec des intentions assurément libérales, tous ces ministères, qui commencent par des protestations de légalité et de conciliation, finissent par pousser tout à l’extrême et par se voir assaillis de problèmes qui se traînent sans solution. Est-ce le pays cependant qui se montre agité et difficile ? Nullement ; le pays est plus fatigué et plus déconcerté qu’ému : c’est la faiblesse des ministères qui a ses conséquences naturelles, qui produit l’incertitude et le malaise. En août 1864, après six mois d’existence du cabinet présidé par M. Mon, nul ne doute à Madrid qu’un changement ne soit devenu nécessaire, qu’il n’y ait un effort décisif à tenter pour relever la direction des affaires, pour raffermir les conditions de la vie publique au-delà des Pyrénées ; et par je ne sais quel lien mystérieux le voyage du roi en France à ce moment même, la visite qu’il fait à la reine Christine, semblent le prélude de cette évolution