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besoin, la moitié de l’énergie et de l’habileté de parole qu’il mettait dans la défense d’une politique opposée, il eût vraisemblablement réussi.

Ce qu’il y avait de réellement dangereux pour le ministère à cette extrémité vers les premiers jours de juin, c’est qu’il ne pouvait en vérité aller plus loin dans aucun sens, et c’était là sa faiblesse, qui s’était accrue tout juste dans la même proportion où il avait amassé les difficultés auteur de lui. Il était à ce moment où un prétexte est à peine nécessaire. Le prétexte, ce fut le choix du comte Ezpeleta pour une des grandes charges du palais : encore un conflit sur les choses intimes de cour ! — Le choix d’un majordome, la question était grave et de puissante considération I Après tout, ce n’est pas encore cette épreuve qui eût tué le ministère, si depuis quelque temps il n’avait pris le soin d’accomplir sur lui-même le plus étrange suicide. Il ne mourait pas pour le choix du comte Ezpeleta, Une mourait pas non plus pour l’échauffourée de Valence, qui l’eût peut-être servi, si elle eût été un peu plus sérieuse ; il mourait le 21 juin parce qu’il était à bout, parce qu’il ne pouvait plus rien, parce que des deux politiques entre lesquelles il s’était débattu l’une avait été abandonnée après avoir été à peine essayée, l’autre était impossible ou conduisait au seuil d’une révolution. Voilà de quoi il mourait réellement, et jamais ministère en Espagne, il faut le dire, n’avait laissé fuir une occasion plus belle d’identifier sa fortune, la fortune de son parti, avec une œuvre de pacification morale. Le ministère Narvaez avait trouvé à son avènement une situation tendue, il laissait à sa chute une situation plus tendue encore, plus violente, plus menacée surtout : dernier résultat de ce travail de neuf mois d’où allait sortir, — quoi donc ? — tout simplement une résurrection de l’union libérale, qui un an auparavant eût soulevé l’opposition la plus vive, et qui cette fois s’accomplissait presque spontanément, sans effort, accueillie par d’anciens adversaires, considérée par tous comme une garantie. Au 16 septembre 1864, c’est le général Narvaez qui était l’homme du moment, le grand pacificateur ; au 21 juin 1865, c’est le général O’Donnell qui devient l’homme nécessaire, le seul qui réunisse à la fois une force d’ascendant sur le pays, sur l’armée, et une force d’intimidation vis-à-vis des partis révolutionnaires, le seul enfin qui puisse rallier tous les élémens d’un libéralisme modéré.

Chose curieuse que cette reproduction périodique d’une même situation ! Depuis quelques années en Espagne, chaque ministère arrive pour tout apaiser et se retire après avoir tout troublé, laissant au ministère qui lui succède ce rôle de réparateur, de conciliateur, qu’il n’a pas su remplir. C’est ainsi que le général O’Donnell s’est trouvé ramené au pouvoir pour reprendre à son tour cette œuvre