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religieuse : ce que les docteurs protestans détestaient dans cette cérémonie était l’immolation en chair et en sang d’une victime ; c’était la sombre image de l’agneau égorgé, qui ramenait, disaient-ils, le christianisme aux anciennes formes du culte juif et païen. L’autel a dû nécessairement tomber en Angleterre lorsque le sacrifice fut supprimé.

Le prêtre est en chaire, et le service commence. Revêtu d’un long surplis blanc à manches flottantes, dont le modèle n’a point changé depuis l’époque de la réformation, il lit à haute voix dans le livre de prières communes (book of common prayers) l’office du matin. Cet office est naturellement en anglais, car le protestant ne parle à Dieu que sa langue nationale. La voix du ministre alterne avec celle de la congrégation, qui lui répond selon les formes de la rubrique. De temps en temps, des chants religieux accompagnés par le son grave des orgues s’élèvent vers les voûtes de l’église. L’officiant lit aussi quelques passages des Écritures. L’élocution des jeunes ministres a beaucoup attiré dans ces derniers temps en Angleterre l’attention de la presse et des évêques. Une bonne prononciation est pour le clergé d’outre-mer un moyen d’influence sur les masses, et un paysan frappé de la manière dont son pasteur s’acquittait d’une telle partie du service laissait échapper cette exclamation naïve : « Il lit la Bible comme s’il l’avait faite ! » A un certain moment, le prêtre descend de la chaire et se retire dans le fond du sanctuaire pour réciter les commandemens de Dieu et le symbole des apôtres. Ce qui étonnera peut-être en France est que les Anglais se croient très sincèrement catholiques, et cela d’autant mieux qu’ils n’y ajoutent aucune restriction. Catholique romain, ces deux mots, selon eux, présentent à l’esprit une contradiction : on ne peut être à la fois universel et local. Ce que nous appelons l’église catholique est connu en Angleterre sous le nom d’église de Rome, laquelle forme, aussi bien que l’église d’Orient, un des rameaux de la catholicité. Les protestans nos voisins n’accordent à aucune de ces branches ou églises particulières un caractère d’infaillibilité pas plus qu’ils ne se l’attribuent à eux-mêmes : toutes peuvent se tromper, et celle de Rome, disent-ils, a montré qu’elle était moins que toute autre à l’abri de l’erreur. Ils réservent le nom d’église, dans le sens le plus absolu du mot, à la société générale des chrétiens répandus sur toute la terre, et qui, à quelque division qu’ils appartiennent, forment les membres d’une grande famille universelle. Plus même une œuvre est indépendante de l’esprit de secte ou dégagée d’un intérêt religieux particulier, et plus elle mérite aux yeux des Anglais éclairés l’épithète de catholique. Oh comprendra ainsi que leur Credo ait conservé l’idéal d’une église cosmopolite,