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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/383

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De Staël, son ambassadeur, qui demeurait dans la rue du Bac, la rue du célèbre ruisseau, et se rend le soir même, sans être annoncé, à Versailles. Louis XVI était à Rambouillet : un courrier de M. de Vergennes l’avertit ; il laisse Monsieur souper avec les chasseurs, commande ses chevaux, aide lui-même à les atteler, et part. Arrivé à Versailles, point de clés, point de valets de chambre ; les premier venus habillent Louis XVI en toute hâte, et il paraît devant son hôte avec un soulier à talon rouge et un autre à talon noir. Une boucle d’or et une autre d’argent et ainsi du reste. — Le comte de Haga soupà ce soir-là avec le roi, la reine et une partie de la famille royale dans ce qu’on appelait le cabinet, c’est-à-dire les petits appartemens. On lui avait préparé un magnifique logement dans le château : il le refusa, et voulut, pour être plus libre, loger en ville chez Touchet, baigneur. Joseph II, sept ans auparavant, était de même descendu à l’hôtel de la rue de Tournon : c’était encore un trait du temps que cette revendication affectée, par les souverains eux-mêmes de leur liberté personnelle, avec un mépris apparent de l’étiquette. À Paris, Gustave déclara qu’il ne recevrait aucune visite ; mais il alla voir lui-même les personnes qui s’inscrivaient chez lui : on le vit accepter des invitations à souper, surtout chez les comtesses de Boufflers et de La Marck, chez la duchesse de La Vallière, chez les princesses de Lamballe et de Croy, à l’hôtel de Richelieu et à l’hôtel d’Aiguillon.

Nous n’ayons pas d’ailleurs à refaire, après le chevalier Du Coudray et plusieurs autres, la relation jour par jour du voyage de Gustave III. Quiconque a feuilleté les mémoires du temps, la Correspondance de Grimm et Diderot, les longues ephémérides de Bachaumont,, sait bien qu’il y avait pour toutes ces visites de princes à Paris pendant les dernières années du XVIIIe siècle un programme à peu près invariable dicté par la mode, et auquel d’eux-mêmes ils venaient s’offrir. En tête de ce programme était, bien entendu, le théâtre. À chacun des trois spectacles, comme on disait alors, c’est-à-dire à l’Opéra, au Théâtre-Français et à la Comédie-Italienne, le public influent et nombreux des gens de lettres se trouvait réuni : c’était donc là qu’il fallait se montrer et se faire applaudir. De vrais triomphes y attendaient le comte de Haga. Arrivait-il au second acte du Mariage de Figaro, à la seconde scène d’Adélaïde Du Guesclin, le parterre et les loges faisaient recommencer la pièce, et tout prétexte d’allusion flatteuse donnait lieu à de chaleureux applaudissemens. Gustave témoignait d’ailleurs de son goût irrésistible pour la scène française en allant presque chaque soir à deux ou trois représentations. Pour suffire à cette curiosité insatiable, en trois semaines l’Opéra monta pour lui, indépendamment du service de la cour, jusqu’à huit ou neuf grands