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crate se relève pour en faire justice, et il souhaite que le sud, apaisé, veuille bien se contenter de la réparation qu’il offre, sans exiger du nord le sacrifice éternel de toute espérance d’union.

Telle est en général la mesure un peu humble du sentiment public. Je ne m’étonne pas de voir les principes changer avec les événemens. Sauf quelques fourbes qui tour à tour exploitent toutes les passions populaires, le peuple américain est sincère dans sa palinodie. C’est de bonne foi qu’il érige l’intérêt du jour en morale : il obéit à cette règle qui n’est pas la conscience, mais qui, moins sévère, est plus praticable, et qui s’appelle le bon sens. Le sud, assure-t-on, n’attend plus pour traiter qu’un prétexte et une apparence de victoire. Cette apparence, le succès des démocrates la lui donne, le maintien de l’esclavage en est le signe, et rien n’empêche plus le nouveau président de ramener le sud au bercail.

On se rappelle que dans aucun temps le général Mac-Clellan n’a été un ennemi de l’esclavage, que lorsqu’il commandait l’armée, — et ce n’est pas là, à mon avis, le plus beau trait de sa vie publique, — il restituait les fugitifs à leurs maîtres au mépris des ordres du président. On se rappelle en même temps qu’il a combattu pour l’Union, qu’il ne peut consentir à ce qu’elle soit démembrée : c’en est assez pour les hommes honnêtes, mais peu chevaleresques, qui tiennent plus aux faits qu’aux idées. Les démagogues d’autre part, dirigeant l’opinion, qui semble les conduire, l’acceptent, le patronnent, le vantent comme leur créature, et crient plus fort que personne pour avoir le droit de lui donner des ordres. Ainsi tout le monde paraît s’unir pour sacrifier « l’infernale politique de l’abolition sur l’autel de l’Union et de la patrie. »

Je m’y résignerais, si le sud consentait réellement à traiter en ces termes. Je crois l’esclavage frappé de mort, et si l’on me prouvait que le salut de l’Amérique est à ce prix, je serais bien près de déserter provisoirement la cause des pauvres nègres, et de remettre au temps, à la force des choses, l’accomplissement de l’œuvre qui n’a pu s’achever à coups de canon. Je me rappelle aussi cependant l’arrogance inouïe du gouvernement confédéré. Le président Davis a déclaré maintes fois qu’il n’y avait pas de paix possible, quelles que fussent les concessions du nord, sinon sur le fondement de la séparation et de l’indépendance absolues des deux peuples. Le vice-président Stephens, le même qui à l’origine condamnait si éloquemment la rébellion, répète chaque jour que tout espoir de paix est illusoire sans la rupture de l’Union. Savez-vous la part qu’ils réclament ? Il leur faut, outre le territoire qui demeure entre leurs mains, « le Missouri, l’Arkansas, la Louisiane, le Tennessee, le Mississipi, l’Alabama, la Géorgie, la Floride, le Kentucky, la Virgi-