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les emprisonner à moins d’un concert unanime de tous les habitans. Aussi se promènent-ils à l’aise tout le long des frontières. Hier c’était le général Smith qui envahissait l’Arkansas, aujourd’hui c’est une autre expédition qui menace l’état du Missouri. Le Mississipi est aux fédéraux, c’est-à-dire qu’eux seuls y naviguent au risque d’y être attaqués ; mais les confédérés le traversent tous les jours. Leurs troupes sont à quelques milles de Memphis, toujours mouvantes et insaisissables, et tiennent bloquée la ville avec sa garnison. Leur confiance dans la neutralité, sinon dans la connivence des habitans, leur donne une audace incroyable. Une nuit, pendant que la garnison dormait, le général confédéré Forrest envahit la ville avec cinq cents cavaliers. Le général fédéral avait soupé la veille chez un de ses amis, et à force de discourir des chances de la campagne et du mérite du whiskey, il s’était trouvé incapable de rentrer chez lui. Les rebelles courent à sa maison pour le prendre dans son lit : ils trouvent la proie échappée. On l’éveille, on lui demande des ordres : pris de terreur, il s’enfuit dans un petit fort où il se barricade avec ses officiers. La ville contenait alors quinze mille hommes : il suffisait d’un mot pour fermer la souricière et prendre sans combat les cinq cents hommes de Forrest ; mais la garnison, sans ordres, ne bougea point. Cependant les confédérés allaient de maison en maison, prenant l’argent et emmenant les chevaux. Au point du jour, ils se retirèrent en visiteurs paisibles, après que le général Forrest et ses officiers eurent inscrit leurs noms sur le registre de l’hôtel. On se mit à leur poursuite deux jours après.

A vrai dire, le sud-ouest n’appartient pas plus aux fédéraux qu’aux rebelles. Ceux-ci ne se contentent pas d’y jeter leurs bandes et d’entretenir des relations clandestines avec les habitans ; ils y ont organisé, — la chose semble incroyable, — un gouvernement. Sous l’édifice extérieur du gouvernement régulier de chaque état, ils se sont creusé un établissement souterrain dans l’espérance de faire un jour sauter la mine. Pendant que le peuple nomme ses représentans, son sénat, son gouverneur, les déloyaux, hypocrites ou avoués, ont aussi leur législature, leur gouverneur occulte. Ce pouvoir fait des lois, recueille des subsides, paie des guérillas et donne des ordres secrets, dont les assassinats qui frappent çà et là des têtes inoffensives ne sont trop souvent que la sanglante exécution. Le chef du gouvernement sudiste du Missouri était alors le général confédéré Sterling Price, le même qui prépara depuis une invasion redoutable. Les fidèles n’attendaient que sa venue pour jeter le masque.

Et remarquez la curieuse coïncidence ! Tandis que les unionistes