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de kick him out ! interrompt l’orateur ; on se précipite sur l’infortuné démocrate, qui est en un clin d’œil saisi, terrassé, battu par les soldats ; le malheureux, à demi brisé, s’enfuit avec la moitié du meeting à ses trousses. Enfin le Fletcher-Club ou comité électoral républicain fut nommé par acclamation, et je m’en retournai chez moi.

Je trouvai une scène toute différente dans le vestibule de l’hôtel ; au moment de l’émeute, une foule effrayée y avait cherché refuge. Peu à peu, la colère succédant à la crainte, il s’éleva des voix séditieuses, et l’on commença à jeter des regards menaçans sur les uniformes victorieux. Un officier fédéral eut l’imprudence d’y répondre et de provoquer tout haut les démocrates. En un instant, ils devinrent furieux, se jetèrent sur lui et l’auraient mis en pièces sans le secours de deux camarades qui réussirent à le dégager. Il resta quelque temps derrière le comptoir, debout, le pistolet à la main, tenant la foule écartée. Les gens de l’hôtel l’emmenèrent de force pour prévenir une lutte sanglante, puis tout rentra dans le calme ; mais je me trompe fort si ces tragédies ne se sont pas renouvelées, et si l’élection présidentielle ne se fait pas dans le Missouri au bruit du canon.

Voilà les bons exemples que donne ici la force armée : les défenseurs de la paix publique imposent à coups de pierre leur caprice aux citoyens. Au lieu de la réduire sévèrement à la discipline, ses chefs, qui sont des hommes de parti, l’encouragent dans sa turbulence. Peut-être même ne sont-ils pas fâchés de donner à l’exécution de leurs fantaisies l’apparence d’une émeute populaire. Les soldats du poste voisin se sont-ils, comme on veut bien le dire, mêlés accidentellement à la foule avec leurs officiers, et le tumulte a-t-il échauffé leurs têtes ? ou bien-était-ce un coup prémédité ? Le général Rosencrans, qui du balcon de l’hôtel voyait la scène, s’est-il amusé à jouer ce tour aux démocrates ? Tout est possible, et ce doute même est la condamnation du système. Chez nous, le soldat est l’esclave de sa consigne, et n’exécute jamais que les ordres qu’on lui a donnés. En Amérique, son indépendance est inouïe ; il va se promenant tout armé dans les villes, le fusil sur l’épaule, usant comme bon lui semble de la poudre et des baïonnettes. Engagé volontaire pour une, deux ou trois années, il n’a pas abdiqué sa liberté en touchant sa paie ; il se considère non pas comme attaché à un devoir, mais comme lié par un contrat à rendre certains services. Le reste du temps, il est son maître et use à son gré de la force dont il est revêtu. L’uniforme qu’il porte est bien moins un signe d’assujettissement qu’une garantie d’impunité. Un soldat enfin est une chose rare, chèrement achetée et doublement pré-