Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous et pour elles tout irait mieux si elles avaient votre innocence et que vous eussiez leur liberté, ne m’écoutez pas, je le veux bien ; mais alors, forcées de choisir entre l’indépendance qui avilit et l’asservissement qui met à l’abri du blâme, les unes préféreront au respect la liberté, tandis que les autres expieront par des regrets humiliés un parti-pris dont elles croient avoir eu l’initiative. Belle alternative établie par la morale systématique ! revêche, on reste poupée ; un sourire vous fait courtisane[1].

Si le dilemme était rigoureux, il serait désespérant ; mais l’on nous permettra de croire qu’entre ces deux redoutables extrémités il existe bien quelque moyen terme. Il y aurait ensuite beaucoup à dire sur la supériorité de grâce et d’esprit que le poète accorde si libéralement et si gratuitement aux belles affranchies de Rotten-row. On ne se targue pas volontiers de les connaître, et l’on sait pourtant, au moins par ouï-dire, qu’elles ont en général pour mérite éminent, pour unique avantage, ce qui les distingue le mieux des « oiseaux de basse-cour » aux ailes rognées, que le jeune satirique traite avec une familiarité si dédaigneuse, l’abandon de tout principe et de toute pudeur. Il y a donc là un malentendu qu’on doit attribuer à la précoce dépravation du goût chez une jeunesse mal contenue, et qui donne pour résultat un être hybride auquel M. Austin. aurait pu réserver une bonne partie de ses anathèmes : nous voulons parler de la fast young lady, c’est-à-dire de la jeune miss qui s’affranchit, elle aussi, des règles communes, parle sans broncher le jargon des clubs, adopte ou devance les modes les plus excentriques et les plus risquées, hante l’écurie, fume au besoin la cigarette et romprait en visière, s’il le fallait, aux Skittles les plus effrontées. Rien de haïssable à nos yeux comme cette émulation à rebours, ce contre-sens de la vanité, cet assouplissement de la fierté légitime, ce besoin de descendre et de chercher son niveau parmi les êtres infimes ou déclassés. S’ils devaient se propager et si nous étions réduits à désespérer des retours salutaires que l’âge et la réflexion peuvent amener chez ces pauvres enfans perdues de la fashion mal comprise, quelles mères, grand Dieu ! auraient les filles de nos fils !

En signalant ce sujet à la verve railleuse de M. Austin, nous le maintenons dans le cercle habituel de ses observations. Les femmes, et les femmes encore, il ne connaît guère d’autre sujet, ou du

  1. Nous avons résumé, sans oser la traduire littéralement, cette curieuse apostrophe, dont il fallait adoucir quelques nuances :
    Go, girls ! to church ! believing ail you hear,
    Think that their lack of virtue makes them dear,
    Unheeding me who say that ban and bar
    Make you the stupid stunted things you are…