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saillies heureuses abondent dans son dialogue, certaines nuances de caractère ou de sentiment sont rendues avec une délicatesse de pinceau presque féminine, et si on marche dans une sorte de dédale, on y marche du moins au milieu des fleurs. Il y a là un mélange de qualités rares et de défauts irritans dont nous ne pouvons qu’indiquer à peine l’étrangeté caractéristique. Les esprits timides ou délicats ont à coup sûr le droit de protester contre des prétentions trop affichées, contre des paradoxes trop crians, contre des combinaisons trop excentriques parfois et parfois aussi trop vulgaires. On ne peut cependant méconnaître l’originalité relative de l’écrivain, et il convenait, nous le croyons, de saisir au passage, dans son premier essor, — pour l’examiner, le discuter à loisir et le classer à son rang, — ce talent de gentilhomme tranchant et railleur, plus audacieux, plus méprisant que de raison, et cherchant à s’imposer de haute lutte plutôt qu’à se concilier les sympathies. Il convenait aussi de signaler une tradition qui semblait perdue et qui se renoue à l’improviste, la résurrection du byronisme retrouvé, comme par miracle, dans les ruines de Newstead-Abbey. Le voici bien avec son parti-pris de misanthropie, son feint abandon sujet à plus d’un retour, sa personnalité envahissante, — ne relevant apparemment que de lui et de ses caprices, mais dominé par la tyrannie du paradoxe et n’osant jamais être parfaitement simple, tant il a peur de sembler candide. Pour nous, qui l’avons beaucoup aimé, qui lui avons beaucoup pardonné, cette palingénésie a presque le charme du renouveau ; mais, tout en y cédant, nous sourions pour ainsi dire de notre faiblesse, qui probablement ne sera pas contagieuse. La jeunesse est vieille de nos jours ; elle ne se laisse prendre à aucune affectation, à aucune attitude, risquons le mot, à aucune pose. Le byronisme — sans lord Byron — passera difficilement par l’étamine de sa clairvoyante indifférence. Nous ne la lui reprocherons pas, mais il vaudrait peut-être mieux voir nos successeurs présomptifs un peu moins judicieux, un peu plus susceptibles d’entraînement, fût-ce au prix de quelque enthousiasme hors de propos. On en revient, après tout, de ces belles et généreuses crédulités ; mais la désillusion précoce nous garde à jamais. C’est « l’avare Achéron » du poète, et, fleuve pour fleuve, nous préférons l’Eurotas, l’Eurotas aux lauriers-roses, sur les bords duquel l’auteur de Caïn et de Don Juan est allé mourir au service d’une cause sacrée.


E-D. FORGUES.