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extérieures ou des personnes, elles-mêmes. Ah ! Je vois clair dans mon coeur, s’écrie Sylvia, lorsqu’elle apprend que ce Pasquin si noble, si fier sous sa livrée, ce Pasquin vers lequel l’attire un charme dont elle a honte, est Dorante lui-même. Dorante qui vient pour l’épouser, Dorante qui s’est déguisé comme elle, afin de l’observer à loisir. La grâce originale de Fabienne, chez M. Meilhac, c’est qu’elle ne voit pas clair dans son cœur, et que le jour où sa grand’mère démêle en souriant tout cet imbroglio, elle s’obstine encore par pudeur, par fierté, par respect et tendresse filiale, à ne pas avouer que sa grand’mère a bien vu. Ces trois caractères féminins sont tracés avec un rare bonheur, la jeune fille candide et farouche, la brillante veuve étourdie par la passion tumultueuse du soupirant et se laissant aller à un amour qui l’aveugle, la grand’mère enfin, la vieille comtesse si clairvoyante et si fine. Il y avait bien des difficultés à sauver dans cette rivalité involontaire de la mère et de la fille ; l’auteur s’en est tiré avec beaucoup d’adresse. Un intérêt éveillé tout d’abord et ménagé jusque la fin, des scènes périlleuses très heureusement conduites, des mots spirituels, des éclairs du cœur, voilà de quoi rajeunir un sujet souvent traité sur la scène et révéler un écrivain soigneux initié aux ressources de son art. Des personnages épisodiques, mais tous se rattachant à l’action, viennent compléter cet agréable tableau.

C’est un tableau du même genre, une étude élégante de mœurs contemporaines qu’un écrivain moins expérimenté a donnée aussi au Gymnase sous le titre des Victimes de l’argent. Ce titre malheureusement était un peu lourd à porter. L’auteur, dont c’était presque le début, avait composé une œuvre délicate, ingénieuse, peinture souriante des embarras de l’argent, tandis que le public, sur la foi de l’enseigne, attendait une comédie aristophanesque. Les qualités littéraires deviennent si rares au théâtre qu’il faut les noter avec soin ; nous prenons acte des promesses que renferme cette œuvre incomplète, et nous ajournons M. Edmond Gondinet à une prochaine revanche.

Ces comédies sans hautes prétentions, études du monde et de ses changemens continuels, analyses légères des sentimens du cœur ou des travers de l’esprit, ont été depuis un siècle et demi une des richesses de notre théâtre. Au-dessous de Molière et de ses fresques puissantes, il y a eu place dès la fin du XVIIe siècle pour une série non interrompue de tableaux de genre, qui ont reproduit avec des chances diverses de succès toutes les transformations de la société française. De Dancourt et Dufresny à Lesage, de Lesage à Destouches, de Destouches à Piron, de Piron à Gresset, de Gresset à Sedaine, de Sedaine à Beaumarchais, comme les rangs sont pressés ! et comme chacune des œuvres rappelées par tous ces noms nous conduit sans un seul temps d’arrêt de Louis XIV à la révolution ! Aucune autre littérature moderne ne peut nous opposer une telle galerie. Même les plus faibles de ces tableaux ont leur intérêt historique : musée